... Ressentant à sa façon, comme une blessure, l’évitement de nombre de personnes face à la différence si ordinaire.
LILI – Théâtre. Pour le droit d’être différent(e)
Gérald Rossi Samedi, 18 Mars, 2017 Humanite.fr
Avec « Lili » Daniel Mesguich adapte et met en scène avec finesse « Le désespoir tout blanc » de Clarisse Nicoïdski. Catherine Berriane est remarquable en jeune fille attardée.
Les immenses toiles d’araignées qui tapissent le miroir de la coiffeuse, qui s’accrochent dans les tentures du lit, ou qui s’incrustent autour de la baignoire, créent dans la lumière grise, comme un premier malaise. Au centre de ce décor, morceau de vaste logement plus ou moins dévasté, désorganisé, une femme est assise quand les spectateurs prennent place. Souriante, le regard fixant une ligne pour les autres invisible. Lili, car c’est d’elle qu’il s’agit, est une jeune fille « attardée » comme l’on dit, simple d’esprit quoi. Avec sa vision du monde et de sa vie, son univers parfois incompréhensible pour les autres. Parents, proches ou moins proches.
En adaptant et en mettant en scène « Le désespoir tout blanc » roman de Clarisse Nicoïdski, Daniel Mesguich espère, dit-il, que « si ce modeste spectacle peut aider, de quelques manières que ce soit, ceux qui luttent tous les jours pour donner ou rendre leur dignité à ceux-là d’entre nous qui ne peuvent pas ou plus la trouver seuls, il n’aura pas été vain ». Belle ambition.
La parole de Lili est innocente. D’une vérité désarmante aussi. Et d’un bon sens particulier comme ici : « Papa est mort, ça veut dire qu’il ne viendra plus à table. Des fois je pense que je suis morte aussi, parce que ma tête a envie de rouler par terre. Et puis je reviens. Tandis que ceux qui sont morts ne reviennent pas. Maman l’a dit un jour. Alors moi j’ai demandé où ils vont? et maman a dit : mon Dieu, quel malheur, cette enfant pose de ces questions… »
Mais Lili, entre ses petites réflexions et ses explosions de gros rire insensé ne suscite pas de sentiment de rejet. Mesguich en fait même un personnage attachant, interprété avec une grâce peu commune par Catherine Berriane qui investit le personnage jusque dans ses plus petites imaginations. Et l’effet est d’autant plus fort et troublant qu’une seconde actrice Flore Zanni, accessoirement infirmière de Lili, surtout la dédouble, grimace pour et avec elle, se tord de rire sur le tapis, hurle depuis le lit de fer, pendant que Lili continue son récit. Elles créent ainsi un univers envoutant. Comme pour rappeler que la vie de toutes les Lilli n’est pas si drôle, si simple. « Souvent, on ne me voit pas » dit-elle. Ressentant à sa façon, comme une blessure, l’évitement de nombre de personnes face à la différence si ordinaire. Un spectacle inédit sur un sujet peu présent au théâtre. Un moment rare.
Jusqu’au 9 avril, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. Théâtre de l’Épée de Bois à La Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre, Paris 12e. Téléphone: 01 48 08 39 74