THEATRE Du 07 au 17 octobre 2021

ANTIGONES 2020

D'après Sophocle Adaptation Laurence Février

SALLE EN PIERRE
Crédit photo : Brigitte Dujardin (visuel) - Margot Simmoney (photos)

Antigones 2020  d’après l’Antigone de Sophocle

Antigone, contrôlée, interdite, emmurée vive, dit NON  ! Non à un pouvoir de surveillance autoritaire, qui lui défend de voir son frère mort et lui interdit de l’enterrer.

Surgissement tragique d’Antigone, il y a 2500 ans. Dans la pièce écrite par Sophocle. Elle dit NON à Créon, son oncle qui gouverne. Ses deux frères se sont entretués pour la conquête du pouvoir. Le corps du premier, celui qui a été conforme au droit, reçoit tous les honneurs  ; le corps du second, le corps du traitre, va être abandonné aux vautours. Antigone s’élève contre la loi édictée par Créon. Elle dit NON à Créon. Elle dit NON à Ismène, sa sœur, qui vient la rejoindre «  trop tard  » dans son combat : « Tu as choisi la vie, moi, je préfère mourir. »

Emmurée vive. Antigone, emmurée et condamnée à être nourrie jusqu’à la mort. Nourrie et enfermée. Enfermée pour qu’elle subisse, à chaque seconde des années qui lui restent à vivre derrière des murs, le désespoir de l’isolement. Avec la mort, pour seul projet. Elle se pend dans son cachot, et son NON continue de hurler à travers le temps, jusqu’à nous…

Effroyable symétrie. Symétrie de rébellion face à la gestion inhumaine d’une pandémie planétaire. Antigones 2020. Symétrie au temps présent. Délivrer celles et ceux qui sont reclus, cloîtrés dans les Ehpad par ordre politique. Les hommes âgés partagent le sort des femmes âgées emmurées vives. Ceux qui n’ont plus la force physique de dire NON, écroués. Agonie du temps présent. Emmurés dans des établissements de protection  : serrures changées, fenêtres bloquées. Symétrie de mise à l’isolement. Pour sauvegarder la vie…

Interdiction aux proches de voir leurs morts. Symétrie de l’interdiction de les accompagner. Rungis transformé en morgue géante. Les marchés frigorifiques pour la viande animale transformés en chambres mortuaires pour les humains.

Interdiction du suicide. Interdiction du suicide assisté. Mise en captivité de ceux qui n’ont plus la force de s’évader. Pour les garder en vie. «  L’État est, par nature, vorace et totalitaire…  ». Symétrie du pouvoir autoritaire sur la vie et sur la mort des citoyens.

Violences infligées aux soignants. Il faut choisir. Entre les vivants. Lesquels va-t-on sauver  ? Les plus jeunes, ceux qui pourront résister ? Ou les autres, déjà en fin de vie, qu’on peut mettre à l’isolement  ?… Symétrie de choix guerriers.

Alors  ? Y a-t-il encore quelque chose d’Antigone en nous  ? Ou le NON qu’elle hurle depuis des siècles s’est-il définitivement éteint  ?

Antigones 2020, trois femmes aujourd’hui, qui portent, chacune en elle, une part d’Antigone, plus ou moins grande, plus ou moins étouffée. Qui s’interrogent sur leur capacité de résistance. Sur leur capacité à dire NON. Elles vont jouer la pièce de Sophocle, comme une liturgie contemporaine qui interroge le texte phare de la rébellion… Elles vont interpréter tous les rôles, comme on le faisait dans l’antiquité, quand il n’y avait que trois acteurs, et quand le choeur représentait la cité, la « polis, la cité-État, composée d’une communauté de citoyens libres et autonomes, la cité qui était une structure humaine et sociale et non une organisation administrative »…

Trois représentantes des forces qui composent cette cité-État. Trois figures constituant les êtres humains qui vivent en république  : la vie, Ismène, la mort, Antigone, et le pouvoir, Créon, dont la femme Eurydice est le porte-parole. Cet État composé «  d’animaux politiques,  réunis par le choix de vivre ensemble, pour bien vivre, une vie commune assurée par la justice, vertu politique par excellence  »…

Antigones 2020, trois femmes face à la rébellion, au NON immémorial de l’Antigone de Sophocle, et à la gestion inhumaine d’une pandémie planétaire…

Laurence février. Mai 2020

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Les Antigones de George Steiner.
(Folio Essais. Gallimard)
Au micro d’Alain Veinstein, France Culture, « La nuit sur un plateau », 01/01/1986.
(Verbatim)

George Steiner : En 68/69, j’ai vu des photos de jeunes femmes, sur les barricades, à la Sorbonne, à Frankfort, à Berlin, mais surtout en Irlande, des jeunes femmes qui disaient « NON » ! À la vie ! Et à la survie ! Elles voulaient risquer l’absolu. J’avais eu l’idée, le projet, de faire quelque chose sur le symbole, le personnage de Saint-Just, dont le nom même hante/ le nom même est un manifeste. Ce groupe d’êtres humains qui disent : « je ne suis pas prêt à attendre la justice de Dieu, c’est lundi prochain à 11 heures 30, le matin, qu’il faut que le royaume de la justice se fasse sur terre ! C’est pas lundi après-midi, c’est lundi matin, à tout prix ! ». J’ai commencé à travailler ce thème des Antigones, sans encore préconiser sa richesse inépuisable. Puis petit à petit, quand on a su que je travaillais sur ce thème, par des conférences, par des essais, les Antigones ont afflué du monde entier. Et elles continuent à affluer, le livre est déjà périmé, il y a, depuis sa publication, dix nouvelles, vingt nouvelles, pièces, poèmes, romans, de l’Amérique centrale où on enterre vivant, attention ! De l’Asie, il y a une Antigone souterraine, on dit qu’il y a une Antigone qui va sortir du monde de Pol Pot, des grands massacres du Sud-Est de l’Asie. Et je me suis rendu compte que là, il y avait un thème absolument universel, beaucoup plus universel que le complexe d’Oedipe, qui est essentiellement occidental. N’en parlez pas dans les cultures où il n’y a pas la famille nucléaire, ni patriarcale, ça ne marche pas du tout. Les Antigones, ça marche partout.

Et un jour même, j’apprends – c’est là que j’ai commencé à écrire mon livre – je lis, que les corps de Baader et Meinhof ont été mis dans la chaux vive, les familles ne les ont pas reçus, et que l’État  allemand, démocratique après tout ! L’État dit : « on regrette, mais on ne peut pas risquer qu’il y ait un culte des morts ». Ce sont les vers mêmes que dit Créon, c’est presque littéral, les mêmes mots  que ceux qui allaient venger ce refus, quand ils ont en signé leur manifeste « Les Antigones rouges ». Ça a été pour moi/ j’ai dit « bon, on se met au travail ! ». Parce que, si vraiment ce mythe est une sténographie politique, une sténographie de l’inconscient, pour toutes les cultures et depuis des millénaires, ça vaut la peine d’en tracer l’évolution, la philosophie et la poétique. C’est un peu ça, l’origine de ce livre.

Alain Veinstein : Ce qui frappe évidement dans le titre, c’est le pluriel, « Les Antigones »…

George Steiner : Mais il est inépuisable. Il y en a des centaines et des centaines. Et voyez-vous, le mythe grec, c’est une base immédiatement connue, avec une liberté infinie de variations. J’irais plus loin, je voudrais, peut-être avec d’autres écrits, proposer, discuter, approfondir l’hypothèse – ce n’est qu’une hypothèse très préalable -, l’hypothèse que le schéma, thème et variation, n’est pas seulement un schéma formel dans notre littérature, mais que ce schéma fait partie de l’organisation du cerveau. L’hypothèse que nous sommes une machine avec une certaine économie de thèmes fondamentaux, et que nous les varions et re-varions à l’infini. Que cette structure, on parle d’un mythe, d’une légende, d’une image, d’une rencontre, pour la varier à travers les millénaires, et pour revenir à la base, qui appartient à la structure même de notre perception.

Alain Veinstein : Et avec Antigone vous avez pu, vous, réaliser un projet que vous aviez depuis longtemps, qui était de mener à bien une étude où seraient fondus le poétique et le politique ?

George Steiner : Absolument, je ne peux pas les séparer, tout poème est un acte politique, tout refus du poème est un acte politique. Mais dans la tragédie grecque, nous avons l’avantage énorme/ que nous avons un peu perdu, de situer même l’inconscient dans la cité, dans la « polis », comme on dit en grec. Si vous voulez, mon différent – très respectueux – avec la psychanalyse, c’est précisément l’isolement de l’inconscient, l’inconscient aussi, non pas seulement « une structure langagière » comme dirait Lacan,  l’inconscient fait partie de la politique, de l’action, et les Grecs le savaient.

Alain Veinstein : Alors les Grecs, et en particulier Sophocle, puisque Antigone nous renvoie à Sophocle, qui est l’auteur de sept tragédies, alors pourquoi le destin particulier de celle-ci ?

George Steiner : Parce que je crois, que elle seule, cette tragédie groupe les cinq axes éternels de conflits : les jeunes contre les vieux, les hommes contre les femmes, l’État  contre l’individu, la mort contre la vie, et le mortel contre les dieux. Dans d’autres tragédies, nous avons deux ou trois de ces axes. La chose époustouflante, c’est que dans une pièce infiniment limpide et concentrée, très courte, une pièce qui fait à peu près un acte d’un Claudel, et qui est d’une économie totale, nous avons les cinq grands conflits qui sont éternels, qui sont les archétypes du conflit. Toujours les jeunes diront aux vieux « on en a assez », toujours les femmes diront à l’homme « ça ne va plus, nous t’avons engendré, porté dans notre giron, et dans notre bras, nous n’allons plus accepter le massacre, la destruction de la ville », toujours l’État voudra mettre son emprise même sur les morts, l’État est, par définition, vorace et totalitaire. Toujours il y aura, pour trop d’êtres humains et particulièrement pour les jeunes, cette fascination de la mort, du suicide. Et songez, qu’Antigone/ le reproche que lui fait Créon « toi, tu es amoureuse la mort »,  c’est un reproche très très grave. Il lui dit « ça, c’est trop facile, moi je dois vivre », c’est le thème d’Anouilh, même de Brecht et de tant d’autres. Et, le cinquième conflit, le plus problématique si on est vraiment athée, si on est entièrement positiviste, aujourd’hui on dira « non je ne comprends pas ce que signifie cette possibilité d’intervention par les Dieux, ou par Dieu ». Il y a encore beaucoup d’entre nous qui saisissent l’enjeu, et tout ça, concentré dans un texte d’une puissance et d’une beauté sans limites.

Alain Veinstein : Donc, le pivot autour duquel toutes les variations vont tourner, pendant deux mille ans, c’est le dialogue Antigone et Créon ?

George Steiner : Et le choeur, et la ville détruite par ce conflit. Parce que comme vous le savez, dans ce livre, je discute toutes les Antigones de 1940, l’époque Vichy, je discute récemment l’Antigone époustouflante de Bernard-Henri Levy, qui proclame qu’on a mal lu la pièce pendant 2000 ans, et qu’au contraire, l’homme sacré, c’est Créon, etc. Les interprétations ne cessent. Ce dialogue est un des moments de cristallisation de la condition humaine, il n’y a pas de doute. Il y en a d’autres, dans les grandes œuvres, dans la tragédie grecque, mais là, c’est d’une transparence presque/ presqu’insoutenable, d’une clarté ! C’est le couteau qui coupe, qui coupe au centre de notre humanité. »

Auteur d'après Sophocle
Adaptation et Mise en scène Laurence Février
Avec Laurence Février, Véronique Gallet et Catherine Le Hénan
Scénographie , illustrations sonores et visuel Brigitte Dujardin
Avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France Ministère de la Culture.
 
Octobre 2021
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Durée estimée : 1h30

Représentations :
Du 07 au 17 octobre 2021
Du jeudi au samedi à 19h
Samedi et dimanche à 14h30

À partir de 12 ans

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Tarifs :
22 €
     Plein Tarif
17 €      Tarif Réduit 1
Seniors (plus de 60 ans), enseignants, habitants du XIIe arrondissement et de Vincennes, carte Cezam, membres SACD.
13 €      Tarif Réduit 2
Étudiants (moins de 30 ans), demandeurs d’emploi, intermittents du spectacle, Carte Loisirs, Pass Culture 12, personnes en situation de handicap et son accompagnateur.
10 €      Tarif Réduit 3
Enfants (moins de 16 ans) et groupes scolaires

Pass :
60 €
: 4 places
72 € : 6 places
100 € : 10 places

CHIMÈNE COMPAGNIE THÉÂTRALE

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