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UN FAUX PAS DANS LA VIE D’EMMA PICARD

Le roman
Un faux pas dans la vie d’Emma Picard
 est le troisième roman d’une tétralogie consacrée à l’histoire de familles françaises en Algérie (C’était notre terre, Les Vieux Fous, Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, Attaquer la terre et le soleil — pour ce dernier roman, Mathieu Belezi a reçu le prix Le Monde 2022 et le prix du Livre Inter 2023).
Dans les années 1860, pour échapper à la misère en France, Emma Picard, paysanne, veuve et mère de quatre fils, accepte de partir en Algérie cultiver vingt hectares de terre que lui octroie le gouvernement français.
Après quatre années de labeur infructueux, de deuils et de catastrophes naturelles, elle s’assied près de Léon, le plus jeune de ses fils, blessé, et fait le récit — lyrique et poignant — de son combat permanent pour la survie.
Le récit qu’Emma fait de sa vie et de ses épreuves est parsemé de questions par lesquelles elle tente vainement d’impliquer Léon dans un impossible dialogue et qui nous ramènent constamment à la situation douloureuse d’une mère qui veille son enfant souffrant.
Dans ce monologue, livré d’un trait comme en un expir, Emma Picard se raconte et dresse le portrait d’une femme de condition modeste au XIXème siècle.

Qui es-tu Emma Picard ?
Colon par nécessité, Emma Picard est avant tout une paysanne. Son récit témoigne d’un rapport viscéral — sensible et poétique — à la nature, mais aussi au travail de la terre, qu’elle mène avec une détermination sans faille jusqu’à l’entêtement tragique.
Dès le début du récit, puis sous la forme d’un leitmotiv lancinant, Emma Picard se désole de sa propre naïveté, estimant s’être fait berner par les fonctionnaires du gouvernement français. Les phases d’espoir et de découragement successives au fil des épreuves endurées la laissent aussi peu à peu en proie au doute et à la colère face à la religion.

La tragédie universelle des sans-voix
Le texte de Mathieu Belezi s’inscrit dans la grande tradition d’une littérature qui donne une voix à celles et ceux dont on ne parle jamais et qui n’ont jamais la parole. En ce sens, il apporte un éclairage singulier sur l’histoire de la colonisation de l’Algérie. Femme, veuve, pauvre, à la merci des puissants, tentant désespérément de survivre dans des circonstances hostiles, Emma Picard est une héroïne tragique, emblématique de tous les laissés-pour-compte, qui nous interpelle par la dimension universelle d’une tragédie personnelle livrée dans l’intimité d’un soliloque bouleversant.
A son arrivée en Algérie, Emma Picard est conduite sur ses terres par Mékika, un algérien qui choisit de rester avec elle et ses fils pour travailler à la ferme. Loin d’occulter le drame de la colonisation qui est omniprésent dans le récit, la relation qui se tisse entre Emma, ses fils et Mékika nous parle de solidarité dans la lutte pour la survie et de la fraternité des travailleurs de la terre.

Du roman à la scène
Tout en préservant les propriétés stylistiques du long monologue d’Emma Picard — que Mathieu Belezi décrit comme un lamento — nous nous sommes efforcés d’en restituer la bouleversante humanité.
Du fait de la situation d’Emma lorsqu’elle entreprend son récit (anéantie, assise sur une chaise), la mise en espace est nécessairement sobre. C’est donc essentiellement par les nuances et les subtilités de l’interprétation que l’on pourra amener le spectateur au plus près des émotions du personnage et que l’on fera entendre la beauté du texte.

 

Extraits de presse

SNES-FSUFrédérique Moujart
Dans un décor épuré, au bord de la folie, Emma, admirablement incarnée par l’éblouissante et bouleversante Marie Moriette, nous dit avec force et lyrisme cette tragédie. Il faut aller voir ce spectacle en tous points fascinant et d’une grande intensité émotionnelle.

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Froggy’s delightNicolas Arnstam
Marie Moriette, magistrale, tient le public en haleine dès les premières minutes, elle délivre magnifiquement le texte d’une grande force de Mathieu Belezi. Un formidable spectacle dont on sort sonné, porté par une prestation de comédienne impressionnante.

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HotelloLouis Juzot
Marie Moriette s’appuie sur un jeu naturaliste mais qui reste sobre. Le dispositif est simple, lumière et musique sont distillées à bon escient. Le tableau est sensible et s’inscrit dans l’esthétique populaire et revendicatrice de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle d’un Courbet ou d’un Zola.

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L’œil d’OlivierMarie-Céline Nivière
La mise en scène d’Emmanuel Hérault, d’une belle sobriété, est centrée sur cette femme terrassée qui veille sur son petit. Marie Moriette fait résonner avec une intensité poignante la belle supplique de cette femme au cœur brisé, au corps usé par le travail, à l’espérance vaincue.

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ACHAC Groupe de recherche sur l’histoire coloniale
La Compagnie Okeanos propose une adaptation poignante du roman de Mathieu Belezi. Au récit rare de cette ultime tentative pour échapper à la misère, s’entremêle celui de la colonisation française et de sa brutalité. Ce seul-en-scène bouleversant est à ne pas manquer.

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I/O LA GAZETTE DES FESTIVALSYsé Sorel
Porté par une interprétation intense de Marie Moriette, le spectacle, fait le choix judicieux de la sobriété. La langue, à la fois lyrique et profondément terrienne, vibre et prend toute la place pour donner à entendre le destin tragique de cette « vie minuscule » qui participe à la grande histoire.

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FILLE DE PANAMEMarina Glorian
Un récit poignant, porté avec force et subtilité par la magnifique comédienne Marie Moriette, intime, fébrile, lyrique, tragique… La très belle adaptation du roman pour la scène nous restitue la parole de cette paysanne qui a cru à une nouvelle vie. Ce spectacle résonne longtemps en nous.

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LICRAJean Louis Rossi
Jamais le sujet des petits colons partis pour exploiter une terre aride en Algérie n’avait été dévoilé de la sorte. La mise en scène minimaliste est servie par Marie Moriette, une comédienne qui nous amène au plus près de l’émotion de cette femme courageuse. Un spectacle d’une grande humanité.

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La ProvenceAngèle Luccioni
Dans un clair-obscur de circonstance, la comédienne Marie Moriette livre un monologue d’une rare intensité dramatique. Cette création d’une vive sensibilité prolonge l’effort de Mathieu Belezi pour faire revivre au public une vérité historique tragique, trop longtemps ignorée ou déformée.

LE NEVEU DE RAMEAU

La caractéristique de mon Neveu de Rameau est l’incarnation. La priorité est la chair, l’expression des acteurs qui donnent vie aux idées. Une des phrases de l’œuvre, prononcée par le Philosophe, a été mon fil d’Ariane pour ce travail : « Mes pensées ce sont mes catins. » Les pensées vues comme des prostituées ! Le culot de Diderot ! Les idées, faites de chair, dont on se sert pour fréquenter, selon son humeur, des sentiments sublimes ou des lieux infâmes. Jouir intellectuellement, sans barrière, en toute liberté, assouvir les fantasmes de l’esprit, voilà ce qui a guidé cette mise en scène dont la volonté est d’habiller les idées abstraites d’un corps de sueur, d’énergie débridée et de mouvements. Les acteurs, Nicolas Vaude et Gabriel le Doze, ainsi que le claveciniste Olivier Baumont, ont adhéré sans réserve à ce point de vue, et ont insufflé à leurs personnages une vitalité, une jeunesse et une modernité à la mesure de ce texte unique, génial.

Jean-Pierre Rumeau

IPHIGÉNIE

Iphigénie, c’est plusieurs horizons qui se chevauchent. Un drame familial, une légende et sa malédiction, un univers désolé et immobile, une quête d’identité.
Racine laisse au spectateur l’absence, le manque de modèle absolu et hégémonique. Par ce texte, il fabrique des situations ouvertes qui tendent rarement vers un espoir.

Toutefois, au milieu du désastre, se dresse un pouvoir : celui des femmes.
Clytemnestre, par sa révolte face aux oscillations de son époux et roi, puis par sa remise en question de l’existence même des dieux. Eriphile, dans sa quête féroce d’identité, de vérité et de justice.

Iphigénie, par sa profonde résignation et sa dignité face à son propre sacrifice.
Ces trois figures archétypales refusent de collaborer avec un système où le pouvoir engendre le mensonge, la trahison, la manipulation.

La résonance que ce texte peut avoir dans notre société est aussi à un tout autre endroit : travailler Iphigénie dans un monde saturé d’informations et d’images, qui oblige aux certitudes et à la radicalité, c’est rendre compte et célébrer l’incertitude, le flottement, la suspension dans le temps.

Ce qui m’intéresse chez Racine, et tout particulièrement dans cette pièce, c’est aussi la question de la croyance.
Il intériorise la foi : les personnages interrogent leur âme, leurs émotions propres, leurs sensations. Le regard est alors tourné vers l’humain et non vers le ciel et tous convoquent leur voix du dedans.

Clément Séclin

DOM JUAN

Pour Antoine Vitez une table, deux chaises, des flambeaux et une compagnie d’acteurs suffisent pour jouer tout Molière.

Dom Juan n’échappe pas à la règle et la discontinuité affirmée des lieux de l’action sort renforcée de l’absence de décor en permettant de se recentrer sur les personnages en faisant fi du autour. Il y a dans la compagnie, la nécessité du groupe d’acteurs à pouvoir jouer les multiples rôles « les acteurs copient les personnages d’une pièce sur l’autre et celui qui joue un valet ici en garde un peu quelque chose pour jouer un seigneur là-bas. Ou l’inverse. » (1)

Dans notre version, une chaise d’époque Louis XIII dans l’espace suffit, comme chez Antoine Vitez. Elle symbolise les lieux de l’action, le centre de l’intrigue.

La compagnie d’acteurs se fond en une seule personne qui garde une part de chaque personnage quand elle devient autre.

Cela résume notre démarche : dire Dom Juan et le faire entendre dans la plus grande simplicité, sans artifice. Faire rêver par les gestes au service du texte. Une actrice unique qui sur le plateau tour à tour est valet ou seigneur, Guzman ou Elvire.

Elle est mue par les forces contraires de la distanciation et du sentiment, du faire et du raconter, du parler soutenu et de l’ivresse joyeuse de l’allitération, suspendue aux axes (corps, visage, regards) dans un rythme incessant.

Travail de l’altérité, Dom Juan et Sganarelle : « Ce n’est pas à vous que je parle, c’est à l’autre ! ». Ou la séduction dite par un homme racontée par une femme.

Ce minimalisme affirmé s’adapte à tous les lieux, même si le vaisseau théâtre est le plus propice à sa diffusion.

(1) Antoine Vitez-programme des Molière

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Extraits de l’entretien de Nathalie Jungerman (Florilettres) avec Sophie Paul Mortimer sur Dom Juan :

N.J. Comment avez-vous travaillé pour ce jeu en solo ?

S.P.M. On a choisi de penser que c’était Elvire – elle repart au couvent, folle de douleur- qui se repassait tous ces rôles.

Elvire ou l’actrice qui joue Elvire. Finalement, le point de départ, c’est une conteuse, c’est quelqu’un qui vient dire Dom Juan.

N.J. Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées ?

S.P.M. Ce qui m’a été facile, c’est le rôle de Sganarelle que j’ai tenté de trouver dans le déhanché des Burlesques. Pendant des mois, on a travaillé en binôme…alternativement. Le rôle le plus difficile a été Dom Juan. Pour Elvire, évidemment, c’était un peu plus simple.

En savoir plus

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La presse en parle

« Nous aurons été quelques-uns à assister à un Dom Juan très inattendu au théâtre de Vanves, où l’actrice Sophie Paul Mortimer, seule en scène, assume tous les rôles de la pièce. Une performance troublante au service du texte, mise en scène par Jean-Louis Grinfeld »
« Il aura suffi d’une chaise Louis XIII et d’une actrice pour jouer tout Dom Juan »
Danielle Birck (RFI)

« Ce que propose Sophie Paul Mortimer, se jetant solitaire dans la cage aux lions d’un chef d’œuvre du grand répertoire est une illustration plénière de la phrase derridienne « seul l’impossible peut arriver » car la volonté téméraire de jouer à elle toute seule le Dom Juan de Molière, dilatant sa personne ludique pour embrasser la totalité de l’œuvre sans partenaire de jeux, fait advenir ludiquement et mentalement cela que d’aucuns jugeraient impossible »
« La textualité en chair et en os qu’un lecteur halluciné ferait résonner dans son oreille interne et visionner sous ses paupières grand ’ouvertes, en se la jouant par devers lui dans un coin de café ou de bibliothèque. Dans des mouvements rares de transcendance onirique … Oui, j’ai vu/entendu cela à Washington lorsque Sophie Paul Mortimer a déployé cette magie éclatée sur la scène de l’ambassade de France devant un public fasciné »
Roger-Daniel Bensky, dramaturge, Georgetown University, Washington DC