Archives pour la catégorie Joué par la Troupe

OH LES BEAUX JOURS

« Les mots vous lâchent, il est des moments où même eux vous lâchent.
Pas vrai, Willie ?
Pas vrai, Willie, que même les mots vous lâchent, par moments ?
Qu’est-ce qu’on peut bien faire alors, jusqu’à ce qu’ils reviennent ?
Se coiffer, si on ne l’a pas fait, ou s’il y a doute, se curer les ongles s’ils ont besoin d’être curés, avec ça on peut voir venir.
C’est ça que je veux dire.
C’est tout ce que je veux dire. »

WINNIE,
in Oh les beaux jours

EN ATTENDANT GODOT

À peine conçus, nous attendons. La naissance nous délivre de cette attente. Alors commence l’attente du devenir. C’est l’époque où une certaine insouciance nous permet de croire que la mort ne viendra pas. Les jours, les heures, les secondes passent et l’attente devient de plus en plus présente jusqu’à l’instant inévitable.
Entre-temps, nous aurons su profiter du peu de temps qui nous aura été imparti.

 

‘‘Godot’’ à l’Épée de Bois…
Sur le plateau la nuit approche sans jamais tomber, le jour luit encore, aussi indécis qu’indistinct. Au milieu, un arbre décharné dont le feuillage peine à prendre forme. Néanmoins il se tient fermement, symbole d’une marche immuable du monde. Perdus dans une lande, à la croisée de chemins qu’on imagine, deux personnages se retrouvent et s’animent. Ainsi commence En attendant Godot de Beckett.
Ces êtres esseulés dans un univers qui semble vide, l’auteur les transfigure par leur questionnement existentiel, leur déroulant une partition parfois loufoque, parfois déroutante, souvent touchante. En somme, une partition à l’image de la nature humaine qui, peu à peu, remplit l’espace et le temps. () En savoir plus

Joan Dupau
Cartoucherie, le 16 novembre 2024

DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

« Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser. »

« Certes, ainsi que le feu d’une étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter : pareillement plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge ; ils se fortifient d’autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout ; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits: semblables à cet arbre qui ne recevant plus de suc et d’aliment à sa racine, n’est bientôt qu’une branche sèche et morte. »

« Souffrir les rapines, les brigandages, les cruautés, non d’une armée, non d’une horde de barbares, contre lesquels chacun devrait défendre sa vie au prix de tout son sang, mais d’un seul ; nommerons-nous cela lâcheté ? » 

« Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! C’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir, puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. »

« …si l’on voit, non pas cent, non pas mille, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes ne pas assaillir, ne pas écraser celui qui, sans ménagement aucun, les traite tous comme autant de serfs et d’esclaves : comment qualifierons – nous cela ? »

« N’est-ce pas honteux, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais ramper, non pas être gouvernés, mais tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants,  ni leur vie même qui soient à eux ? »

« Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. »

Étienne de La Boétie

 

PAROLES DE SPECTATEURS…

« […]. Le plaisir est au rendez-vous. […] Il ne s’agit pas simplement ici d’un seul en scène se contentant d’une profération ; il y a plus : une mise en scène (d’Antonio Diaz-Florian, directeur du théâtre), un décor et des costumes (Abel Alba), une vraie interprétation (Graziella Lacagnina). »

In « L’OURS », article de Robert ANDRÉ – 7 juin 2024
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Déjà, arriver au Théâtre de l’Epée de Bois est une invitation à un voyage, hors du temps, un voyage comme seul le théâtre peut proposer. Dans la salle dit du « salon » on assiste à un discours éclairé, brillant, puissant, merveilleusement interprété par Graziella Lacagnina, qui donne vie à Etienne de la Boétie, ()

Marie Pierre BORDEL – le 2 décembre 2024
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Si La Boétie recense trois catégories de tyrans, il n’a de cesse d’opposer la liberté des individus à qui il revient de la rechercher inlassablement.
Car il en va de leur dignité d’être humain – de notre dignité et aussi de notre responsabilité. ()

Roland TAVEL – le 23 novembre 2023
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LE ROI SE MEURT

Le roi Bérenger, c’est un être humain comme tout le monde. Son royaume n’est autre que son propre corps. Mal entre-tenu, ce corps s’effondre un jour. La reine-vie essaie de le retenir, mais la reine-mort l’emportera. Un conte pour enfants et adultes car, hélas, les rois se meurent à tout âge.

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Quelques réflexions qui animent nos répétitions :

LE « JEU » D’ÉCHECS

Si la mort est inévitable et constamment présente à chaque instant de nos vies, pourquoi éviter d’en parler ? Pourquoi éviter de vivre avec Elle comme nous vivons avec le « bonjour  » quotidien ?
Notre peur envers Elle nous pousse à l’ignorer afin de mieux vivre. Est-ce une bonne chose d’attendre le dernier moment pour se pencher sur la question ?
Voilà, à notre avis, quelques questions que l’auteur nous pose, sans nous plonger dans l’angoisse ni dans la tristesse, mais au contraire pour que nous vivions dans la joie et que chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde de vie, soit gagnée sur la mort.
Un jeu où nous tenterons de gagner le plus longtemps possible. Une partie d’échecs que nous perdrons à coup sûr, mais le plus tard possible.
Quoiqu’il en soit il s’agit toujours d’un JEU.
Nous autres, comédiens, nous efforcerons de servir les mots que l’auteur nous a légués de sorte que les larmes accompagnent le rire. Seul le spectateur pourra dans son intimité nous dire si notre but est atteint, si nous avons bien ou mal joué avec Elle, car nous, comédiens, ne devons pas oublier qu’Elle peut nous attendre à la sortie du plateau ou mieux, sur le plateau même.
Il y a quelques siècles, notre maître Molière est mort… il guide nos pas. Notre souhait est de tout donner sur le plateau, l’unique lieu où nous vivons réellement.
20-10-2017

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LE VERBE FAIT PERSONNAGE
Le son est l’outil essentiel de la communication entre les animaux. Le son des humains est la parole, qui devient écriture pour l’écrivain.
Elle est vie lorsque le comédien joue devant nous. C’est dire l’importance du verbe. Il entre en nous sous l’aspect de l’amour d’une pièce, et devient, au bout de quelques mois de gestation dans notre corps, le bébé personnage. Il naît le jour de la première devant le Public, qui devient alors le tuteur du nouveau-né. Avec le temps, il grandira et prendra ses forces, toujours accompagné du regard joyeux et bienveillant du spectateur.
21-10-2017

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« PENSES-Y »
« Le Roi » après avoir usé sa vie inconsciemment, comme chacun de nous, voudrait tout recommencer et redevenir un bébé. Hélas, la Mort ne le lui permettra pas. Son corps est tout fissuré, il ne peut plus tenir debout, il tombera inévitablement en poussière.
Nous pouvons regretter profondément nos erreurs, mais quand le mal est fait… il n’y a pas de pardon pour nos erreurs. Il n’y a pas la possibilité d’acheter des indulgences comme nous l’ont proposé pendant des siècles les marchands de l’âme qui s’étaient octroyé l’exclusivité de la parole divine.
La Mort est implacable. Elle peut arriver à tout moment pour régler nos comptes. A travers la chair et l’esprit du comédien, l’auteur nous rappelle qu’il ne faut pas attendre le dernier moment pour vivre pleinement dans la joie de l’instant: « Tu respires. Tu ne penses jamais que tu respires. Penses-y. C’est un miracle. »
22-10-2017

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L’EXIL
Le Poète qui guide nos pas sur la scène depuis que nous avons commencé les répétitions de sa pièce, est venu d’un pays étranger, et avec lui est venue sa culture. Le pays qui l’a accueilli a su s’enrichir et se nourrir de cet autre regard, comme un vent nouveau qui est descendu des montagnes lointaines des Carpathes.
Venus après lui, nous avons à notre tour appris à aimer notre culture d’accueil sans pour autant renier celle qui nous accompagnait depuis nos premiers pas d’immigrants.
Nous avons su, au prix de beaucoup de difficultés et de travail, devenir Français à part entière. Nous aimons profondément notre nouveau pays car, n’étant pas nés ici, nous avons la chance unique de l’avoir choisi en toute connaissance de cause.
Le roi Bérenger exprime peut-être les sentiments de l’auteur, lorsqu’il dit : « J’aime l’exil. Je me suis expatrié. Je ne veux pas y retourner.»
Sans prétendre connaître les sentiments de Ionesco, nous pouvons affirmer avec Marguerite, implacable reine qui ne nous quittera qu’au dernier soupir : « La vie est un exil. »
29 -10-2017

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LE DÉPART
Nous savons tous qu’au moment du grand départ nous partirons comme nous sommes venus, sans fausses richesses ni fastueux décors qui ne font qu’encombrer et entraver  notre dernier parcours.
Les murs que nous avons bâtis dans l’idée de nous protéger des prédateurs ; le toit que nous avons édifié bien haut pour lutter contre les intempéries ; les portes que nous avons fermées contre l’intrusion des étrangers. Tout cela restera.
D’autres dépositaires provisoires du rêve s’en empareront et lutteront de toutes leurs forces, à leur manière et pour un temps hélas limité, pour réaliser le bien-être matériel.
Pour celui qui doit partir, seul compte son corps : son seul et unique « royaume ». Lorsque celui-ci, affaibli par l’usure du temps, ne peut plus tenir debout, il n’a besoin que d’un simple point d’appui pour pousser son dernier soupir.
Dans la vie de tous les jours, et pour la majeure partie d’entre nous, nous le poussons allongés sur un lit. D’autres, hélas, arroseront la terre de leur sang…
Au théâtre, dans le temple où le seul dieu est la Beauté, nous pouvons mourir sur un simple tabouret, emportés par la passion et dans la communion de nos sentiments avec le public, transportés par l’illusion comique de tous les êtres qui, depuis la salle, font « Que les arbres poussent du plancher. Que le toit disparaisse… »
02-11-2017

***

SEPT ÉTOILES
« Le ciel au-dessus. Tu peux le regarder deux fois par jour ! » nous
suggère Bérenger.
Nous pouvons le regarder plus souvent : nous aurons à chaque fois sous nos
yeux le plus extraordinaire spectacle qui soit, un défilé de beauté qui
évolue à chaque seconde, une immensité qui nous invite à devenir une
partie infime d’un immense Tout.
Lorsque la corruption de notre confort laisse place aux étoiles, celles-ci
peuvent enfin nous éclairer et faire jaillir en nous ce souffle profond
qui nous transporte au-delà de l’univers.
Une fois revenus sur terre, nous les comédiens, nous les marchands de
rêve, nous souhaitons recréer sur la scène notre ciel d’un soir ; certains
accrochent alors dans les cintres des dizaines, des centaines de
projecteurs. Peut-être est-ce le besoin d’un grand nombre d’étoiles pour
éclairer ses rêves.
Pour éclairer notre Roi qui se meurt, nous avons choisi de réunir
simplement sept ampoules de cent watts au long d’une planche dorée. C’est
avec cette minuscule constellation que nous prétendons emporter nos chers
spectateurs et compagnons dans l’univers poétique de Ionesco.
01-11-2017

***

LES COULEURS
Chacun voit le monde avec ses propres yeux, son regard est teinté du
sentiment qu’il éprouve à l’instant précis.
On a établi des catalogues de couleurs dans l’espoir de préciser ce que
nous voyons. L’auteur, lui, essaie de fixer son sentiment à l’aide des
mots.
Il écrit « Bleu » mais personne ne saura de quel bleu il s’agit. Il y a
des centaines, voire des milliers des bleus. Le poète dirait « des
milliards » de bleus.
Le peintre, « partisan de la monochromie », peut croire que tout est bleu,
car dans la composition de son « bleu » réside toute la palette des
couleurs.
Lorsqu’on se trouve en haut des montagnes des Carpates, des Andes ou des
Alpes, il nous arrive de contempler le ciel se reflétant sur « l’océan »
de nuages qui commence juste à nos pieds.
Le blanc des nuages peut, avec le crépuscule bleu clair… bleu foncé…
devenir bleu noir au point de se confondre avec le noir des pics des
montagnes qui les dépassent. Tout dépend de l’instant où le soleil, la
lune, les étoiles éclairent ou non cette mer de nuages.
Habituellement, en haut des montagnes le blanc des nuages est plus
séduisant que le noir des roches ; mais il est mortel aussi…
La couleur blanche des nuages pour envelopper et avaler le noir des îlots
rocheux… Le noir, la matière encore vivante, et le blanc, ce qui « est »
mais que l’on ne peut plus toucher… l’au-delà.
Le blanc devient bleu, et le bleu devient noir. La nuit. Mais la nuit
devient bleue avec l’aube, puis blanche, et ainsi de suite…
09-11-2017

***

TOUJOURS UNE TROUPE
Comme le monde est merveilleux ! il ressemble à notre métier. Il change, il évolue chaque jour, à chaque seconde.
Nous ne pouvons pas jouer le même spectacle chaque soir : il change, car nos sentiments ne sont jamais les mêmes d’un soir à l’autre. De ce fait, le sens des mots change aussi, le langage évolue.
Ce que nous appelions « Troupe » en 1980 voulait dire une moyenne de vingt comédiens qui mêlaient dans l’euphorie le sable et le ciment avec les mots merveilleux de Shakespeare, Calderon et Molière…C’est ainsi qu’ils bâtissaient et forgeaient en même temps leurs propres vies et celle de l’Épée de Bois.
La définition actuelle de notre troupe serait plutôt celle d’un groupe d’une douzaine de comédiens, pour qui le lieu, légué par les anciens « épées », peut servir de refuge momentané où, libérés des contraintes d’espace, ils peuvent approfondir leur propre travail d’acteur : répéter tous les matins durant de longs mois et présenter leur travail le temps nécessaire, afin qu’il puisse mûrir dans le temps. Et pour cela il ne suffit pas seulement de jouer, il faut aussi continuer à répéter les après-midi avant de jouer le soir. Ajoutons à cela le fait de jouer quatre spectacles en moyenne par saison. Un rêve, n’est-ce pas ?
Oui, mais ce rêve a un prix : la seule économie disponible pour le réaliser est basée sur les recettes des spectacles. Voici quelques points qui relient encore, malgré l’évolution du temps, la troupe du 6 janvier 1968 (naissance dans la rue de l’Epée de Bois- Paris V eme), celle du 9 janvier 1980 (début de la construction des locaux actuels)  et celle du 6 novembre 2017 (notre tout dernier et nouveau spectacle).
11-11-17

 

UBU ROI

NOTRE UBU

En chacun d’entre nous sommeille un Ubu, notre Ubu. Il est là, tapi au plus profond de nous-mêmes. Nous, comédiens, apprenons par cœur les mots que le Poète nous a légués ; nous les répétons sur le plateau et, chaque fois que nous les prononçons, avec la plus grande intensité possible, un sens nouveau jaillit et vient alors annuler tout ce que nous croyions savoir du texte.

Le texte opère comme un révélateur des milliers de personnages que nous pourrions être dans la vie quotidienne.
Il nous permet de devenir celui ou celle que, peut-être, nous ne serons jamais, mais qui pourtant demeure au plus profond de nous. Il nous arrive de prétendre, après quelques mois d’étude, avoir compris le message de l’auteur. Des chercheurs l’étudient pendant de longues années et écrivent même des thèses sur lui. Mais le comédien a la certitude qu’à chaque fois qu’il est sur scène, toutes ses convictions se dérobent en même temps qu’il exhale le mot.

Nous pensons parfois que nos Maîtres, qui ont déjà monté la pièce, ont fait la bonne interprétation du fameux : « De par ma chandelle verte ! » Alors, humblement, nous tâchons de suivre leurs pas. Mais hélas, la phrase nous reste aussi inconnue qu’un soupir qui viendrait subitement casser le rythme de la respiration.
Alors le comédien continue à se préparer, en silence, et avant de monter sur le plateau, il dit aux Dieux du théâtre : «Que votre volonté soit faite», en sachant que ces Dieux séjournent dans l’Olympe de notre Enfance, où se trouve la réelle interprétation du texte, qui ne sera «authentique» que durant le temps où le comédien prononcera le mot.
Le comédien-enfant, aidé du texte du Poète, deviendra alors le Roi de l’immense et merveilleux royaume de son propre imaginaire.

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UBU ROI

NOTRE UBU

En chacun d’entre nous sommeille un Ubu, notre Ubu. Il est là, tapi au plus profond de nous-mêmes. Nous, comédiens, apprenons par cœur les mots que le Poète nous a légués ; nous les répétons sur le plateau et, chaque fois que nous les prononçons, avec la plus grande intensité possible, un sens nouveau jaillit et vient alors annuler tout ce que nous croyions savoir du texte.

Le texte opère comme un révélateur des milliers de personnages que nous pourrions être dans la vie quotidienne.
Il nous permet de devenir celui ou celle que, peut-être, nous ne serons jamais, mais qui pourtant demeure au plus profond de nous. Il nous arrive de prétendre, après quelques mois d’étude, avoir compris le message de l’auteur. Des chercheurs l’étudient pendant de longues années et écrivent même des thèses sur lui. Mais le comédien a la certitude qu’à chaque fois qu’il est sur scène, toutes ses convictions se dérobent en même temps qu’il exhale le mot.

Nous pensons parfois que nos Maîtres, qui ont déjà monté la pièce, ont fait la bonne interprétation du fameux : « De par ma chandelle verte ! » Alors, humblement, nous tâchons de suivre leurs pas. Mais hélas, la phrase nous reste aussi inconnue qu’un soupir qui viendrait subitement casser le rythme de la respiration.
Alors le comédien continue à se préparer, en silence, et avant de monter sur le plateau, il dit aux Dieux du théâtre : «Que votre volonté soit faite», en sachant que ces Dieux séjournent dans l’Olympe de notre Enfance, où se trouve la réelle interprétation du texte, qui ne sera «authentique» que durant le temps où le comédien prononcera le mot.
Le comédien-enfant, aidé du texte du Poète, deviendra alors le Roi de l’immense et merveilleux royaume de son propre imaginaire.

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