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LE TARTUFFE

Depuis le XVIIIe siècle, le personnage de Tartuffe est synonyme par excellence d’hypocrisie, et si son succès ne s’est jamais démenti, c’est que nous sentons bien que l’hypocrisie nous concerne tous, dupes et mystificateurs que nous sommes tour à tour.

Si les mauvais penchants de l’être humain font les imposteurs d’hier et d’aujourd’hui, son désir de spiritualité peut dès lors servir la soif du pouvoir, le goût de la manipulation, et tous les appétits… La « tartuferie » apparaît dans tous les milieux, nous devons donc rester vigilants face aux imposteurs toujours présents dans notre société

CABARET SHAKESPEARE

Le Cabaret de « La Cour des Miracles » livre ce soir encore son extraordinaire prestation pour les heureux qui ont osé s’y rendre au péril de leur propre vie.
Depuis longtemps, dans la ville de Camerapolis, toute manifestation culturelle est bannie. Quiconque brave la sinistre loi est irrémédiablement mis au ban de la société, voire pire. Seul le cabaret de La Cour des Miracles survit. À ses risques et périls, à l’insu des autorités, mais au su de tous les autres. Avec pour toile de fond l’image d’un monde décharné et chaotique, où règne la tyrannie et l’exploitation de l’homme par l’homme, vont s’ébattre devant vous des personnages shakespeariens, tantôt transcendés par la lumière tantôt assombris par les ténèbres, tantôt purifiés, tantôt démoniaques. On y dénonce non sans ironie, humour et folie la manière dont Camérapolis s’est construite et comment un homme a fait courber tous les autres. Ce cabaret est le seul lieu restant où l’homme parle à l’homme. Tout autour a été détruit, soumis à la loi du plus fort. Un cabaret souterrain comme un lieu de protestation et de défoulement. Par chance, tout cela demeure encore secret. Les hommes résistent encore et toujours. Ils viennent assister à ce spectacle cathartique, transcendant, qui honore l’homme, la vie, l’amour et condamne le tyran, l’égoïsme et la cupidité. Et qui pouvait nous offrir des personnages aussi haut en couleurs que noirs en profondeur…le grand et l’unique William. La Cour des Miracles est le dernier acte de résistance et de vérité. Pour combien de temps encore? Dans un monde qui croule, réussira t-on à relever ce qui reste de grand en l’homme? Pour le savoir, prenez le risque, bravez les interdits et rendez-vous à…La Cour des Miracles !

LE ROI SE MEURT

Le roi Bérenger, c’est un être humain comme tout le monde. Son royaume n’est autre que son propre corps. Mal entre-tenu, ce corps s’effondre un jour. La reine-vie essaie de le retenir, mais la reine-mort l’emportera. Un conte pour enfants et adultes car, hélas, les rois se meurent à tout âge.

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Quelques réflexions qui animent nos répétitions :

LE « JEU » D’ÉCHECS

Si la mort est inévitable et constamment présente à chaque instant de nos vies, pourquoi éviter d’en parler ? Pourquoi éviter de vivre avec Elle comme nous vivons avec le « bonjour  » quotidien ?
Notre peur envers Elle nous pousse à l’ignorer afin de mieux vivre. Est-ce une bonne chose d’attendre le dernier moment pour se pencher sur la question ?
Voilà, à notre avis, quelques questions que l’auteur nous pose, sans nous plonger dans l’angoisse ni dans la tristesse, mais au contraire pour que nous vivions dans la joie et que chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde de vie, soit gagnée sur la mort.
Un jeu où nous tenterons de gagner le plus longtemps possible. Une partie d’échecs que nous perdrons à coup sûr, mais le plus tard possible.
Quoiqu’il en soit il s’agit toujours d’un JEU.
Nous autres, comédiens, nous efforcerons de servir les mots que l’auteur nous a légués de sorte que les larmes accompagnent le rire. Seul le spectateur pourra dans son intimité nous dire si notre but est atteint, si nous avons bien ou mal joué avec Elle, car nous, comédiens, ne devons pas oublier qu’Elle peut nous attendre à la sortie du plateau ou mieux, sur le plateau même.
Il y a quelques siècles, notre maître Molière est mort… il guide nos pas. Notre souhait est de tout donner sur le plateau, l’unique lieu où nous vivons réellement.
20-10-2017

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LE VERBE FAIT PERSONNAGE
Le son est l’outil essentiel de la communication entre les animaux. Le son des humains est la parole, qui devient écriture pour l’écrivain.
Elle est vie lorsque le comédien joue devant nous. C’est dire l’importance du verbe. Il entre en nous sous l’aspect de l’amour d’une pièce, et devient, au bout de quelques mois de gestation dans notre corps, le bébé personnage. Il naît le jour de la première devant le Public, qui devient alors le tuteur du nouveau-né. Avec le temps, il grandira et prendra ses forces, toujours accompagné du regard joyeux et bienveillant du spectateur.
21-10-2017

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« PENSES-Y »
« Le Roi » après avoir usé sa vie inconsciemment, comme chacun de nous, voudrait tout recommencer et redevenir un bébé. Hélas, la Mort ne le lui permettra pas. Son corps est tout fissuré, il ne peut plus tenir debout, il tombera inévitablement en poussière.
Nous pouvons regretter profondément nos erreurs, mais quand le mal est fait… il n’y a pas de pardon pour nos erreurs. Il n’y a pas la possibilité d’acheter des indulgences comme nous l’ont proposé pendant des siècles les marchands de l’âme qui s’étaient octroyé l’exclusivité de la parole divine.
La Mort est implacable. Elle peut arriver à tout moment pour régler nos comptes. A travers la chair et l’esprit du comédien, l’auteur nous rappelle qu’il ne faut pas attendre le dernier moment pour vivre pleinement dans la joie de l’instant: « Tu respires. Tu ne penses jamais que tu respires. Penses-y. C’est un miracle. »
22-10-2017

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L’EXIL
Le Poète qui guide nos pas sur la scène depuis que nous avons commencé les répétitions de sa pièce, est venu d’un pays étranger, et avec lui est venue sa culture. Le pays qui l’a accueilli a su s’enrichir et se nourrir de cet autre regard, comme un vent nouveau qui est descendu des montagnes lointaines des Carpathes.
Venus après lui, nous avons à notre tour appris à aimer notre culture d’accueil sans pour autant renier celle qui nous accompagnait depuis nos premiers pas d’immigrants.
Nous avons su, au prix de beaucoup de difficultés et de travail, devenir Français à part entière. Nous aimons profondément notre nouveau pays car, n’étant pas nés ici, nous avons la chance unique de l’avoir choisi en toute connaissance de cause.
Le roi Bérenger exprime peut-être les sentiments de l’auteur, lorsqu’il dit : « J’aime l’exil. Je me suis expatrié. Je ne veux pas y retourner.»
Sans prétendre connaître les sentiments de Ionesco, nous pouvons affirmer avec Marguerite, implacable reine qui ne nous quittera qu’au dernier soupir : « La vie est un exil. »
29 -10-2017

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LE DÉPART
Nous savons tous qu’au moment du grand départ nous partirons comme nous sommes venus, sans fausses richesses ni fastueux décors qui ne font qu’encombrer et entraver  notre dernier parcours.
Les murs que nous avons bâtis dans l’idée de nous protéger des prédateurs ; le toit que nous avons édifié bien haut pour lutter contre les intempéries ; les portes que nous avons fermées contre l’intrusion des étrangers. Tout cela restera.
D’autres dépositaires provisoires du rêve s’en empareront et lutteront de toutes leurs forces, à leur manière et pour un temps hélas limité, pour réaliser le bien-être matériel.
Pour celui qui doit partir, seul compte son corps : son seul et unique « royaume ». Lorsque celui-ci, affaibli par l’usure du temps, ne peut plus tenir debout, il n’a besoin que d’un simple point d’appui pour pousser son dernier soupir.
Dans la vie de tous les jours, et pour la majeure partie d’entre nous, nous le poussons allongés sur un lit. D’autres, hélas, arroseront la terre de leur sang…
Au théâtre, dans le temple où le seul dieu est la Beauté, nous pouvons mourir sur un simple tabouret, emportés par la passion et dans la communion de nos sentiments avec le public, transportés par l’illusion comique de tous les êtres qui, depuis la salle, font « Que les arbres poussent du plancher. Que le toit disparaisse… »
02-11-2017

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SEPT ÉTOILES
« Le ciel au-dessus. Tu peux le regarder deux fois par jour ! » nous
suggère Bérenger.
Nous pouvons le regarder plus souvent : nous aurons à chaque fois sous nos
yeux le plus extraordinaire spectacle qui soit, un défilé de beauté qui
évolue à chaque seconde, une immensité qui nous invite à devenir une
partie infime d’un immense Tout.
Lorsque la corruption de notre confort laisse place aux étoiles, celles-ci
peuvent enfin nous éclairer et faire jaillir en nous ce souffle profond
qui nous transporte au-delà de l’univers.
Une fois revenus sur terre, nous les comédiens, nous les marchands de
rêve, nous souhaitons recréer sur la scène notre ciel d’un soir ; certains
accrochent alors dans les cintres des dizaines, des centaines de
projecteurs. Peut-être est-ce le besoin d’un grand nombre d’étoiles pour
éclairer ses rêves.
Pour éclairer notre Roi qui se meurt, nous avons choisi de réunir
simplement sept ampoules de cent watts au long d’une planche dorée. C’est
avec cette minuscule constellation que nous prétendons emporter nos chers
spectateurs et compagnons dans l’univers poétique de Ionesco.
01-11-2017

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LES COULEURS
Chacun voit le monde avec ses propres yeux, son regard est teinté du
sentiment qu’il éprouve à l’instant précis.
On a établi des catalogues de couleurs dans l’espoir de préciser ce que
nous voyons. L’auteur, lui, essaie de fixer son sentiment à l’aide des
mots.
Il écrit « Bleu » mais personne ne saura de quel bleu il s’agit. Il y a
des centaines, voire des milliers des bleus. Le poète dirait « des
milliards » de bleus.
Le peintre, « partisan de la monochromie », peut croire que tout est bleu,
car dans la composition de son « bleu » réside toute la palette des
couleurs.
Lorsqu’on se trouve en haut des montagnes des Carpates, des Andes ou des
Alpes, il nous arrive de contempler le ciel se reflétant sur « l’océan »
de nuages qui commence juste à nos pieds.
Le blanc des nuages peut, avec le crépuscule bleu clair… bleu foncé…
devenir bleu noir au point de se confondre avec le noir des pics des
montagnes qui les dépassent. Tout dépend de l’instant où le soleil, la
lune, les étoiles éclairent ou non cette mer de nuages.
Habituellement, en haut des montagnes le blanc des nuages est plus
séduisant que le noir des roches ; mais il est mortel aussi…
La couleur blanche des nuages pour envelopper et avaler le noir des îlots
rocheux… Le noir, la matière encore vivante, et le blanc, ce qui « est »
mais que l’on ne peut plus toucher… l’au-delà.
Le blanc devient bleu, et le bleu devient noir. La nuit. Mais la nuit
devient bleue avec l’aube, puis blanche, et ainsi de suite…
09-11-2017

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TOUJOURS UNE TROUPE
Comme le monde est merveilleux ! il ressemble à notre métier. Il change, il évolue chaque jour, à chaque seconde.
Nous ne pouvons pas jouer le même spectacle chaque soir : il change, car nos sentiments ne sont jamais les mêmes d’un soir à l’autre. De ce fait, le sens des mots change aussi, le langage évolue.
Ce que nous appelions « Troupe » en 1980 voulait dire une moyenne de vingt comédiens qui mêlaient dans l’euphorie le sable et le ciment avec les mots merveilleux de Shakespeare, Calderon et Molière…C’est ainsi qu’ils bâtissaient et forgeaient en même temps leurs propres vies et celle de l’Épée de Bois.
La définition actuelle de notre troupe serait plutôt celle d’un groupe d’une douzaine de comédiens, pour qui le lieu, légué par les anciens « épées », peut servir de refuge momentané où, libérés des contraintes d’espace, ils peuvent approfondir leur propre travail d’acteur : répéter tous les matins durant de longs mois et présenter leur travail le temps nécessaire, afin qu’il puisse mûrir dans le temps. Et pour cela il ne suffit pas seulement de jouer, il faut aussi continuer à répéter les après-midi avant de jouer le soir. Ajoutons à cela le fait de jouer quatre spectacles en moyenne par saison. Un rêve, n’est-ce pas ?
Oui, mais ce rêve a un prix : la seule économie disponible pour le réaliser est basée sur les recettes des spectacles. Voici quelques points qui relient encore, malgré l’évolution du temps, la troupe du 6 janvier 1968 (naissance dans la rue de l’Epée de Bois- Paris V eme), celle du 9 janvier 1980 (début de la construction des locaux actuels)  et celle du 6 novembre 2017 (notre tout dernier et nouveau spectacle).
11-11-17

 

UBU ROI

NOTRE UBU

En chacun d’entre nous sommeille un Ubu, notre Ubu. Il est là, tapi au plus profond de nous-mêmes. Nous, comédiens, apprenons par cœur les mots que le Poète nous a légués ; nous les répétons sur le plateau et, chaque fois que nous les prononçons, avec la plus grande intensité possible, un sens nouveau jaillit et vient alors annuler tout ce que nous croyions savoir du texte.

Le texte opère comme un révélateur des milliers de personnages que nous pourrions être dans la vie quotidienne.
Il nous permet de devenir celui ou celle que, peut-être, nous ne serons jamais, mais qui pourtant demeure au plus profond de nous. Il nous arrive de prétendre, après quelques mois d’étude, avoir compris le message de l’auteur. Des chercheurs l’étudient pendant de longues années et écrivent même des thèses sur lui. Mais le comédien a la certitude qu’à chaque fois qu’il est sur scène, toutes ses convictions se dérobent en même temps qu’il exhale le mot.

Nous pensons parfois que nos Maîtres, qui ont déjà monté la pièce, ont fait la bonne interprétation du fameux : « De par ma chandelle verte ! » Alors, humblement, nous tâchons de suivre leurs pas. Mais hélas, la phrase nous reste aussi inconnue qu’un soupir qui viendrait subitement casser le rythme de la respiration.
Alors le comédien continue à se préparer, en silence, et avant de monter sur le plateau, il dit aux Dieux du théâtre : «Que votre volonté soit faite», en sachant que ces Dieux séjournent dans l’Olympe de notre Enfance, où se trouve la réelle interprétation du texte, qui ne sera «authentique» que durant le temps où le comédien prononcera le mot.
Le comédien-enfant, aidé du texte du Poète, deviendra alors le Roi de l’immense et merveilleux royaume de son propre imaginaire.

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HAROLD ET MAUDE

Harold n’a pas vingt ans. Fasciné par la mort, il cherche désespérément à attirer l’attention de sa pauvre mère, femme moderne surbookée, qui le retrouve tantôt pendu au lustre du salon, tantôt gisant dans une mare de sang…
Maude va fêter ses 80 ans. Tout l’émerveille, la passionne. Incontrôlable, imperméable à tous les tabous, narguant policiers et règlements, elle ne vole pas, elle « emprunte », elle ne ment pas, elle poétise, elle ne meurt pas, elle passe le relais…
C’est à un enterrement, terrain de jeu préféré de l’un comme de l’autre que ces deux oiseaux rares vont se rencontrer. La folie de la vieille dame va peu à peu contaminer le jeune homme : « Beaucoup de gens aiment ça, passer pour mort. Ils ne sont pas vraiment morts mais ils tournent le dos à la vie. Ils restent assis sur les bancs du stade, à regarder le match, le seul qu’ils verront jamais… Mais allez-y Bon Dieu ! Foncez ! Tant pis si ça fait mal, sinon de quoi parlerez-vous au vestiaire ? »
Au fond, l’alternative est simple. Entre désespérer de la nature humaine ou décider de l’aimer inconditionnellement, éperdument, sans jugement, Maude a choisi et Harold aussi… à son tour.
Colin Higgins, en nous invitant avec humour et légèreté à « vivre simplement les choses simples », écologiste avant l’heure, bouscule le sérieux de nos existences, fait rejaillir les ruisseaux de nos enfances, nous vise en plein cœur !

 

LE DERNIER SONGE DE SHAKESPEARE

Le 23 avril 1616, il y a quatre cents ans, le jour de ses 52 ans, William Shakespeare meurt à Stratford-upon-Avon.
Avait-il contracté une maladie lors d’un voyage à Londres ou avait-il trop abusé d’alcool lors d’un repas avec ses amis Ben Jonson et Mickael Drayton, lui qui n’était pourtant pas porté sur les excès, à la différence de ses amis dramaturges de l’époque ?

On ne le sait pas.
D’ailleurs, on sait peu de choses sur Shakespeare, pas même l’orthographe exacte de son nom.
À peine savons-nous qu’il est né à Stratford-upon-Avon, sans connaître le jour exact, qu’il y a fondé une famille, qu’il s’est rendu à Londres, y est devenu acteur et écrivain, puis est revenu à Stratford pour y écrire son testament et mourir.
Pour l’historien Georges Steevens 1, c’est à peu près tout.
Le reste n’est que conjectures de biographe.
Et si c’est peut-être un peu exagéré, ce n’est pas si loin de la vérité.

Mais si l’homme nous est presque réellement inconnu, tout le monde connaît Roméo et Juliette, Hamlet, Macbeth, Othello, le roi Lear, Richard III, Shylock, Desdémone, Iago…
Sous sa plume, les plus beaux héros comme les plus ignobles prennent vie et nous deviennent aussi proches que les petites gens, plus ou moins glorieux dans leurs tâches et leurs existences.

C’est grâce à sa capacité à percer et exposer au grand jour l’âme humaine que Shakespeare est devenu l’auteur des plus grandes histoires d’amour, de passion, de pouvoir, plus que par les intrigues qu’il empruntait sans vergogne aux anciens ou les thèmes de ses pièces qu’il puisait chez ses contemporains — la notion de plagiat n’existait tout simplement pas à l’époque —.

C’est grâce à cette faculté à déchiffrer et représenter nos tourments qu’il est devenu au fil du temps l’écrivain de théâtre le plus joué dans le monde.

Donc si l’homme nous est inconnu, son œuvre, elle, est inscrite dans nos gènes et c’est à la recherche de nous-mêmes que nous sommes allés en réalisant Le dernier songe de Shakespeare. Nous voulons nous nourrir de William Shakespeare, lui demander qu’il nous prête un moment ses personnages, ses scènes cultes – ou non —, pour qu’il nous raconte un peu qui nous sommes.

Danièle Marty

EXTRAITS DE PRESSE:

…Shakespeare vu par la Compagnie du Hasard bouleverse les codes. Déroutant, étrange, burlesque, tragique, difficile de définir « Le dernier songe de Shakespeare ». Une comédie la plupart du temps, d’ailleurs les rires fusent dans la salle. Dans l’ombre, Shakespeare est à la fin de sa vie, entre paradis et enfer, accompagné de trois bouffons, dans la lumière il va fêter son anniversaire. Une pièce lui sera jouée comme cadeau, farfelu le cadeau avec son animateur au micro présentant « La dure mort de Roméo et Juliette ».

L’écriture de Bruno Cadillon qui incarne Shakespeare est aussi complexe que fouillée. Le comédien rendant hommage au dramaturge en égratignant ses faiblesses. Ses œuvres trouvent leur place dans un duo entre Shakespeare et Anne sa femme. « Beaucoup de bruit pour rien », « Richard III »… cette chère Anne, jouée par Danièle Marty, les connaît toutes, elle est première lectrice de son époux : « Il part du principe que si je peux comprendre tout le monde le pourra ! »

Les deux comédiens s’affrontent dans une joute oratoire, du grand classique. Gilbert Epron, Emmanuel Faventines et Henri Payet, les accompagnent avec tout autant de talent. La troupe de la Compagnie du Hasard joue avec brio sur une mise en scène rythmée et réjouissante qui séduit tous les publics. NR le 21/08/2017

ANNA MAGDALENA BACH. UNE FEMME… UN CLAVECIN… UNE PASSION…

En l’hiver 1720, Anna Magdalena Wilcke accompagne son père à Hambourg. C’est à cette occasion qu’elle entend Jean-Sébastien Bach pour la première fois ; Anna Magdalena sait qu’elle rencontre un génie.

Ce spectacle allie la musique des Cahiers d’Anna Magdalena Bach et les petits faits de la vie de Johann-Sebastian Bach, tels qu’ils ont été relatés dans les Chroniques d’Anna Magdalena Bach, et dans diverses correspondances.

GEORGE DANDIN

J’ai choisi de mettre en scène cette comédie de Molière, parce que c’est une pièce qui cache son jeu ! D’une réplique à l’autre, on fait le grand écart entre le drame humain et la farce, sans savoir toujours très bien où l’on est et où il est très important de ne pas savoir, jusques aux rôles même, qui doivent de temps en temps échapper aux acteurs !

Cette pièce diffère des autres ouvrages de l’auteur en ceci qu’elle ne se partage pas entre le camp dit des bons et celui des méchants, où les personnages de bon sens usent de tous les stratagèmes pour faire renoncer les chefs de familles à leur égoïste plaisir et où les enfants réalisent, pour clore, le mariage qu’ils espèrent.

Ici, lorsque la pièce commence, le mariage entre George Dandin et Angélique est consommé. George Dandin se plaint de son alliance avec sa femme, qui – dit-il – se tient au-dessus de lui. A l’image de Molière et d’Armande Béjart, c’est l’histoire d’un couple qui se désagrège.

Et c’est sur cette fracture, conséquence d’un mariage forcé, que le scénario s’articule. D’un côté, nous avons George Dandin, qui, à l’ancienne, a acheté sa femme. De l’autre, nous avons Angélique (et sa servante), qui, après avoir subi chacune la loi et la domination des hommes (père, mari, amants) revendiquent désormais le droit à disposer d’elles-mêmes.

Dandin se plaint du comportement de son épouse, mais ne cherche pas à la comprendre, enferré qu’il est dans sa norme. Il ne développe, par ailleurs, aucune stratégie pour s’intégrer au cercle de sa belle-famille, qui pourrait éventuellement le soutenir. Tout ce qu’il cherche, naïvement, pathétiquement, est que l’on reconnaisse son infortune. C’est cette stagnation, qui va de plus en plus l’isoler, avant de le précipiter dans le gouffre.

Il s’est éloigné de lui-même en pensant faire abstraction du champ social dont il est pétri. Dans la séquence de la porte fermée, Dandin-le geôlier est à l’intérieur, et Angélique-la soi-disant captive est à l’extérieur ! D’un bout à l’autre de la pièce, Dandin restera le prisonnier de ce qui lui échappe.

Est-ce une tragédie pour autant ? Certes pas; car on rit en permanence de l’infortune ou du désespoir de celui qui vit son drame et presque tous les personnages sont concernés. Pour parler familièrement : on est toujours le pauvre ou le con de quelqu’un ! Ce n’est qu’après avoir ri, qu’on se demande si on a bien fait et c’est le piège que tend Molière au spectateur !

Avec Laurence Chapellier, la créatrice des costumes, nous voulions marquer le XVIIème siècle, parce qu’il nous semblait important de savoir d’où on partait, pour ensuite laisser courir notre imagination. Notre arrivée dans la Salle en Bois du Théâtre de l’Epée de Bois a prolongé notre désir, qui est à la fois de représenter la beauté et la profondeur.


Un excellent spectacle qui laisse sourdre le cauchemar que subit Dandin mais n’oublie jamais le rire.
LE FIGARO – Armelle Héliot

Un spectacle grinçant et drôle qui montre avec éclat le génie dramatique de Molière.
LA TERRASSE- Catherine Robert

Avec une patience et une humilité d’artisan rompu au polissage de texte, Patrick Schmitt façonne le classique [George Dandin] pour en faire un petit bijou. – LES TROIS COUPS – Elisabeth Hennebert

Une mise en scène de Patrick Schmitt, sobre, sans gras, mais intense et humaine.
THEATRE DU BLOG – Christine Friedel

LA CERISAIE – VARIATIONS CHANTÉES

La Cerisaie : les amours impossibles, le départ définitif, l’emprise de l’argent, l’espoir d’une nouvelle vie, la destruction du passé, fût-il un bois, un jardin de cerisiers, une maison, une vie… Des thèmes d’aujourd’hui qui réunissent toutes les générations : les jeunes qui rêvent d’un beau futur, les adultes qui luttent contre ou se plient parfois à la férocité des temps, les vieux que l’on oublie… De cette exploration du texte et des thèmes de cette grande pièce nous avons essayé de faire un spectacle qui coule fluide, comme un fleuve, comme un film : pas de décor sauf une énorme toile blanche, quelques accessoires. Et la musique, des chansons du répertoire et des chansons originelles. Un chœur d’artistes comédiens chanteurs jouent la Cerisaie et racontent la genèse de sa création à travers les lettres de Tchekov à sa femme Olga et à son metteurs en scène, le célèbre Stanislavsky.

LE BORD

Une ville. De nos jours. La nuit. Au bord d’une nouvelle vie, un jeune homme tombe sur le corps d’un vieil ivrogne couché dans la rue. Les deux sont en fuite — pour aller où ? L’événement est aussi fugace et percutant qu’un accident aperçu à travers la vitre d’une voiture. À un autre endroit de la ville : le jeune homme rentre chez lui, où l’attend sa mère pour leur dernière soirée ensemble. Mais le vieil homme l’a suivi et va faire irruption dans la maison pour régler des comptes. D’un incident à l’autre, trois vies basculent.
Le Bord, pièce inscrite dans le cycle d’œuvres que Bond a originellement écrites pour être jouées dans les lycées et collèges, explore avec un humour tonique la notion de gouffre entre les générations, décrit avec compassion les déchirements d’une séparation, et propose une parabole moderne sur la difficulté qu’il y a à se constituer en être responsable et solidaire, dans une société acharnée à étouffer et briser la liberté créatrice de l’individu.

Edward Bond s’est intéressé à l’écriture dramatique pour jeunes publics à l’occasion d’une profonde crise dans les milieux scolaires britanniques, déclenchée par la politique ultra-libérale, et nécrosante pour le tissu social, que mena Margaret Thatcher dès les années 70. Une des conséquences de cette politique fut le démantèlement d’un système original d’éducation par le théâtre : Theatre-in-Education, dont les forces vives : « acteurs-professeurs », furent systématiquement réduits au silence. La seule compagnie qui ait survécu à ce détissage destructeur est aujourd’hui encore installée à Birmingham : Big Brum. La compagnie va au-devant de collégiens et lycéens vivant et étudiant dans des zones défavorisées, pour s’installer dans leurs établissements et présenter des spectacles accompagnés d’ateliers pratiques. Edward Bond entama un partenariat avec Big Brum lorsque la compagnie lui demanda son soutien public afin de protester contre les coupes de subventions. À cette occasion, Bond écrivit Auprès de la mer intérieure (1995), qui aborde de manière audacieuse la question de la Shoah. Un lycéen s’y prépare à un examen d’histoire. De son lit surgit une femme venue du passé : elle s’apprête dans l’instant-même à pénétrer dans une chambre à gaz. Elle tient un bébé et demande au jeune garçon de lui raconter l’histoire qui pourrait sauver son enfant. La question est alors : comment « sauver les morts », « extraire un sens du chaos »… et offrir ce sens à l’humanité ? Pour répondre à cette question, l’outil principal est l’imagination, qui crée des valeurs en dessinant une carte du monde permettant à chaque individu, dès la toute petite enfance, de se situer par rapport au monde et aux autres. De se situer dans l’Histoire aussi, en élargissant les frontières de notre mémoire.

À partir de là, Bond lancera tous les deux ans à Big Brum les défis des pièces qu’il écrira pour la compagnie. Ce seront, entre autres : Onze débardeurs, Si ce n’est toi, La Sous-chambre, Le Bol affamé…

Jérôme Hankins, avec l’Outil compagnie, s’est emparé de l’œuvre pour jeunes publics de Bond, pour mieux la faire connaître et la diffuser en français. En 2002, ce furent Les Enfants au Théâtre-Studio d’Alfortville, puis Le Numéro d’équilibre, créé dans la programmation officielle (« in ») du festival d’Avignon, en 2006, en partenariat avec le Théâtre de la Colline, avec une tournée dans toute la France. En 2011, création de La Flûte au Centre Dramatique Régional de Haute-Normandie, à Rouen, avec une diffusion dans une vingtaine d’établissements scolaires. Le Bord fut créé à Amiens, en mars 2016, à l’occasion des « Rencontres européennes Edward Bond », premier colloque universitaire jamais consacré à cet auteur, à la Faculté des Arts de l’Université de Picardie Jules Verne.

Pièces d’apprentissage pour jeunes comédiens, et jeunes publics, les pièces pour Big Brum sont pour Bond l’occasion d’une réflexion sur le théâtre, mais aussi sur le fonctionnement de l’esprit humain. En écrivant pour des enfants ou des adolescents, Bond affirme sa foi en leur capacité morale d’affronter et de comprendre la complexité de l’expérience humaine, jusque dans ses plus profondes tragédies. Car l’enfant est la partie de nous qui a regardé le monde et les choses pour la première fois, avec une innocence radicale qui cherchait dès l’origine un sens à la vie. L’être humain, dès ses premiers pas dans le monde, est un être responsable qui accueille le reste de ses frères humains dans le monde qu’il (se) crée pour survivre. C’est ainsi que l’on peut lire le trajet du jeune Ron dans Le Bord : pris au piège des conséquences d’un accident apparemment anodin, il va accepter d’affronter les questions les plus douloureuses — la vie, la mort,l’injustice, en apprenant à leur donner un nouveau sens, pour faire face à son existence encore à inventer.

Jérôme Hankins