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BRITANNICUS

« Néron est l’homme de l’alternative ; deux voies s’ouvrent devant lui : se faire aimer ou se faire craindre. »

Roland Barthes

Agrippine, mère de Néron, s’aperçoit que ce prince qu’elle n’avait élevé au trône que pour régner sous son nom, est décidé à gouverner par lui-même. Ambitieuse et affamée de pouvoir, elle consent à marier Junie à Britannicus, fils de l’empereur Claude, son premier mari, et frère adoptif de Néron, dans le but de se concilier l’affection de ce jeune prince et de s’en servir au besoin contre Néron…

Il ne faut pas plus de quelques vers à Racine pour poser l’intrigue et ses personnages : une famille disloquée, que le public surprend en plein trauma, avec un empereur fuyant, et sa mère, qui reste sur le pas de sa porte.

Il s’agit ainsi pour Néron non pas d’échapper à l’amour castrateur de sa mère mais de lutter contre le pouvoir qu’elle entend continuer de lui imposer. Néron n’est pas d’emblée le tyran sanguinaire que l’on connaît par la légende. C’est un jeune empereur apprécié du peuple, qui n’a pas encore brûlé Rome ni tué sa femme, ni encore sa mère.

Ça viendra pourtant… Cette enquête autour de la nature humaine, qui convie sur le champ de bataille passions amoureuses et ambitions politiques, est un condensé intense et radical d’une société éteinte, mais dont les nombreux échos nous parviennent encore…

ET MOI ET LE SILENCE

« Comme si tous les Cieux étaient une Cloche,
Et l’Être, rien qu’une Oreille
Et Moi, et le Silence, une Race étrange
Naufragée, solitaire, ici. »

Emily Dickinson Je perçus des Funérailles, dans mon Cerveau.

La jeune Jamie et la jeune Dee, l’une Noire, l’autre Blanche, se rencontrent en prison quelque part dans les États-Unis des années cinquante. Naît entre elles une amitié, une complicité, une envie de poursuivre la route ensemble. Elles se rêvent en domestiques, s’entraident, répètent fiévreusement leurs rôles de bonnes à tout faire. Quelques années plus tard, elles partagent le même logement sordide. Leurs rêves, si modestes qu’ils aient été, se sont heurtés au mépris de classe et à la ségrégation.

Par des allers-retours entre les deux époques, Naomi Wallace donne à cette relation impossible la forme d’un miroir brisé.

Il y a dans l’œuvre de Naomi Wallace, certainement aujourd’hui une des plus grandes autrices du théâtre américain, une tonalité singulière. Son théâtre a clairement une dimension de critique sociale fondamentale : il s’agit toujours pour elle de pointer sans relâche les violences, les injustices criantes, qui sont celles de l’Amérique contemporaine ; Et moi et le silence ne fait pas exception à ce souci premier. Naomi Wallace y dénonce la brutalité des rapports de classe, le racisme obsessionnel qui marque encore à maints égards la société américaine.

Mais cette nécessaire dénonciation ne relève pas d’un projet politique par trop sommaire où le slogan et le catéchisme tiendraient lieu de béquille. Dominique Hollier, l’excellente traductrice de Naomi Wallace, écrit ceci : « Naomi Wallace part des corps pour décrire le corps social ». Il y a une tendresse extrême, une empathie constante dans la façon dont l’autrice met en scène Jamie « l’Afro-américaine » et Dee « la Blanche ». Dures au mal, violentes, mais profondément émouvantes dans leur désir encore teinté d’enfance de donner un sens à leur vie, d’échapper à la pauvreté, d’être « quelqu’un » dans un monde où tout les condamne à n’être rien.

Il y a chez Naomi Wallace une attention à la détresse de l’autre, il y a aussi une musique ou une musicalité particulière dans son écriture. On est, dès la première lecture, saisi (et la traduction de Dominique Hollier joue là un grand rôle) par la limpidité de la langue, et dans un même temps, par une sorte de fantaisie, de goût de la cocasserie, un quelque chose qui relève du charme de la comptine enfantine. C’est ce mélange qui fait la grâce, la poésie, de cette œuvre singulière.

En outre notre autrice mêle de façon troublante les temporalités dans lesquelles évoluent ses deux personnages : on passe sans transition des scènes du passé – qui se déroulent en prison – aux scènes du présent, neuf ans plus tard, qui se déroulent « dans une petite chambre presque vide, dans une ville, quelque part aux États-Unis ». Mais c’est précisément cette façon d’articuler un indispensable réalisme à une dimension presque onirique et une inquiétude existentielle toujours présente qui donne à ce théâtre un charme si prégnant loin de tout plat naturalisme. C’est aussi ce qui rend l’entreprise de mise en scène particulièrement stimulante.

René Loyon

LES VITALABRI

Les Vitalabri n’ont ni patrie ni pays. On pourrait croire qu’ils sont chez eux partout mais personne ne veut d’eux nulle part. Derrière leurs frontières infranchissables, ceux qui sont nés quelque part refusent de les accueillir. Sans abri, sans papiers, avec comme seuls biens leur musique et la liberté, les Vitalabri continuent leur errance.

Une très jolie réflexion sur l’exil, la famille, le rejet d’un peuple voyageur et mal aimé. Madame Vitalabri voudrait aller « là où on aime les Vitalabri », seulement ce lieu n’existe pas. Pour franchir la frontière, le passeur leur demande de l’argent mais ils n’ont « pas un sou. Pas un radis. Pas un kopeck. Pas un liard ». Embarqués par « des uniformes, bâtons levés », jusqu’à la préfecture, ils finiront expulsés. Comme toujours.

Aujourd’hui, des milliers de personnes fuient leur pays. C’est l’exode la plus importante depuis la seconde guerre mondiale et avec elle, le rejet de l’autre.

Il faut traiter en même temps tous les racismes, répondre aux barbaries par nos coutumes civilisées :  l’éducation des enfants, l’égalité, la langue, la mémoire.

Combattre l’antisémitisme, la xénophobie, par une méthode active : le théâtre.

Ce spectacle s’adresse tout particulièrement aux jeunes de 11 à 15 ans, il leur parle

avec humour de l’apprentissage de la différence, de la curiosité de l’autre, et comment se dessine l’imaginaire de l’étranger.

L’espace pour raconter cette fable sera inspiré par le monde de l’enfance avec ses trappes et ses apparitions magiques. Au fil de leur voyage, la famille Vitalabri fait la rencontre de multiples personnages incarnés par les acteurs et leur double en marionnettes. Inventive et poétique, l’histoire se jouera rythmée par la musique et les costumes fluorescents afin de composer un spectacle joyeux, inquiétant et féerique.

La musique et la liberté sont les personnages centraux de cette fable des exilés. La sensibilité de Eric Slabiak me paraissait évidente pour composer cette musique de l’errance. La famille de musiciens joue berceuse sur berceuse, ils marchent et marchent, leurs chansons remplissent le paysage. On entendra violon, banjo, guimbarde flûte et mirliton, moins lourds à transporter que le piano…

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Extraits de texte 

« Connaissez vous les Vitalabri ? Non ne cherchez pas sur une carte ni sur une mappemonde, il n’y a pas de pays Vitalabri. Les Vitalabri sont chez eux partout et nulle part, surtout nulle part. Certains disent qu’ils n’aiment pas les Vitalabri parce que ceux-ci ont le nez pointu, et ceux qui ont le nez pointu, eux, n’aiment pas les Vitalabri parce qu’ils trouvent leur nez trop rond.
On n’aime pas non plus les Vitalabri parce qu’ils sont trop grands, beaucoup trop grands, ou trop petits, beaucoup trop petits, ou trop moyens, beaucoup trop moyens, c’est moche.»
« Arrêtez la musique  ! Plus de musique, plus de berceuses, plus, plus de musique !
Ici, dans ce merveilleux pays qui vous accueille aujourd’hui si généreusement, il n’y a absolument plus de place pour la musique et les musiciens ! Nous avons trop de musiciens vitalabrais, et pas assez de Schnellbunker specialisés.
En quoi ?
Quoi en quoi ?
Spécialisés en quoi ?
En tout.
Qu’est-ce que vous savez faire ?
Moi du violon.
Aaaah !
Et moi du Ukulélé souffla un des petits
Aaah !!! Non, non, non, non ! Vous devez avoir un métier, un vrai métier. »

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Extraits de Presse

La mise en scène de Lisa Wurmser réjouit petits et grands. Un délicieux spectacle qui enchante et parle de situations graves qui ne sont pas sans évoquer le sort des migrants aujourd’hui.
Armelle HELIOT – Le Figaro – 14 juillet 2016

Sur un tel sujet, le risque est le prêchi prêcha moralisateur. Avec le duo Grumberg/Wurmser, le danger est évité avec l’aisance du coureur de 3000 steeple franchissant sa première haie. Il y a du Chagall dans cette oeuvre où la gravité du propos n’interdit ni l’humour, ni la poésie, ni la berceuse. La pièce tient du conte magique avec son happy end, comme dans les histoires pour enfants, où tout se termine bien même si l’on sait qu’il ne peut en être ainsi dans la vraie vie. Mais qu’importe, il faut aussi apprendre à rêver, ne serait-ce que pour oublier l’insupportable.
Jacques DION – MARIANNE – Juillet 2016

Olga Grumberg (Madame Vitalabri), Pascal Vannson (Monsieur Vitalabri), Eric Slabiac – le fils violoniste et auteur des subtils arrangements musicaux, Pascale Blaison pour la pertinence de ses marionnettes, sous la direction de Lisa Wurmser, forment la talentueuse coalition qui fait des Vitalabri un rare et magnifique moment de théâtre. Au passage ils nous rappellent que Jean-Claude Grumberg est un de ceux qui inventèrent le rire de résistance qu’il pratique ici avec tendresse et malice.
Dominique DARZACQ – WEBTHEA – Juillet 2016

Des marionnettes à taille humaine et des ombres chinoises peuplent cette fable qui fait la part belle à la musique et qui fait référence à l’histoire, à Albert Einstein et à la musique. On rit beaucoup, et on admire le remarquable travail des artistes qui touche enfants comme adultes avec intelligence et une simplicité lumineuse.
Artistik Rezo, Hélène Kuttner

Quatre acteurs, un violoniste, des marionnettes et un conte admirable, à la fois puissant et malicieux, écrit par Jean-Claude Grumberg… Une histoire de réfugiés, vieille comme l’homme et toujours actuelle, propre à ravir les vrais enfants et l’enfant qui vit encore en  nous.
Le Canard enchaîné, 13 juillet 2016

Très finement, toute la puissance de l’œuvre résonne dans la mise en scène bourrée d’idées qu’en propose Lisa Wurmser. Il y a de la musique, des chants, des figurines, des chapeaux, des masques… et beaucoup d’espérance aussi. Car pour ces Vitalabris, tout finit par des chansons. Pour ceux-là…
Théâtral Magazine, François Varlin 

LE DUEL

Le Duel est une nouvelle initialement publiée en 1891, sous forme de feuilleton, dans la revue russe Temps nouveaux. De façon inédite dans son oeuvre, Tchekhov situe l’action sur un bord de mer du Caucase. C’est à la fois un lieu d’exil qui exacerbe les passions et une terre sur laquelle se projettent des utopies contradictoires. Si dans un premier temps, Le Duel s’apparente à une nouvelle idéologique, elle n’en reste pas moins une histoire d’amour, construite comme une pièce de théâtre et un roman policier. Elle met en scène deux héros que tout oppose : un scientifique darwiniste, raide de certitudes et un homme du siècle, un jeune homme indolent qui se laisse vivre, joue aux cartes et vit dans le mensonge. Un vrai duel va avoir lieu mais les deux hommes finissent par se rapprocher, changer d’avis l’un sur l’autre et mettre en cause leurs systèmes de pensée respectifs. Ainsi aucune vérité ne triomphe, aucune théorie ne l’emporte, aucune résurrection n’intervient mais la vie finit par changer les êtres et deux hommes destinés à se tuer se disent finalement adieu, de loin, sous une pluie fine. Davantage que le choc des idées, c’est cette pluie fine qui intéresse Tchekhov, dans laquelle se dissolvent les certitudes que nous prétendons opposer aux énigmes de la vie.

LÀ-BAS, chansons d’aller-retour

Deux sœurs, deux voix, un seul chant, ancré dans les petits trésors populaires des artistes déracinées.

L’Histoire des Diseuses est liée à l’exil, à l’histoire des flux migratoires, au « parlé- chanté » avec lequel elles ont porté la parole des femmes : Bien avant nous, Polaire ou Eugénie Buffet, entre Tlemcen et Marseille, sont les premières Diseuses pieds-noirs. À Cuba les Sœurs Faez créent la Trova familiale avec la forme des ida y huelta (aller-retour). Les Sœurs Abatzi s’exilent de Smyrne au Pyrrhée où les cabarets enfumés retentissent de haschich songs … Entre deux cultures, entre deux mondes, entre mot dit et mot chanté, la Diseuse telle que nous allons l’évoquer, est un modèle féminin de force et de courage, un levier pour les enjeux de notre monde actuel, la parité, l’égalité entre les sexes, une diversité culturelle.

« C’est l’exil qui a déterminé toute ma vie, entre deux cultures. Mon travail est un travail de séparation. De l’exil je suis passé à l’ex-il, quelque part entre la réalité et l’imaginaire, entre le connu et l’inconnu, là commence la poésie. » Mata (peintre Chilien)

ANTIGONES 2020

Antigones 2020  d’après l’Antigone de Sophocle

Antigone, contrôlée, interdite, emmurée vive, dit NON  ! Non à un pouvoir de surveillance autoritaire, qui lui défend de voir son frère mort et lui interdit de l’enterrer.

Surgissement tragique d’Antigone, il y a 2500 ans. Dans la pièce écrite par Sophocle. Elle dit NON à Créon, son oncle qui gouverne. Ses deux frères se sont entretués pour la conquête du pouvoir. Le corps du premier, celui qui a été conforme au droit, reçoit tous les honneurs  ; le corps du second, le corps du traitre, va être abandonné aux vautours. Antigone s’élève contre la loi édictée par Créon. Elle dit NON à Créon. Elle dit NON à Ismène, sa sœur, qui vient la rejoindre «  trop tard  » dans son combat : « Tu as choisi la vie, moi, je préfère mourir. »

Emmurée vive. Antigone, emmurée et condamnée à être nourrie jusqu’à la mort. Nourrie et enfermée. Enfermée pour qu’elle subisse, à chaque seconde des années qui lui restent à vivre derrière des murs, le désespoir de l’isolement. Avec la mort, pour seul projet. Elle se pend dans son cachot, et son NON continue de hurler à travers le temps, jusqu’à nous…

Effroyable symétrie. Symétrie de rébellion face à la gestion inhumaine d’une pandémie planétaire. Antigones 2020. Symétrie au temps présent. Délivrer celles et ceux qui sont reclus, cloîtrés dans les Ehpad par ordre politique. Les hommes âgés partagent le sort des femmes âgées emmurées vives. Ceux qui n’ont plus la force physique de dire NON, écroués. Agonie du temps présent. Emmurés dans des établissements de protection  : serrures changées, fenêtres bloquées. Symétrie de mise à l’isolement. Pour sauvegarder la vie…

Interdiction aux proches de voir leurs morts. Symétrie de l’interdiction de les accompagner. Rungis transformé en morgue géante. Les marchés frigorifiques pour la viande animale transformés en chambres mortuaires pour les humains.

Interdiction du suicide. Interdiction du suicide assisté. Mise en captivité de ceux qui n’ont plus la force de s’évader. Pour les garder en vie. «  L’État est, par nature, vorace et totalitaire…  ». Symétrie du pouvoir autoritaire sur la vie et sur la mort des citoyens.

Violences infligées aux soignants. Il faut choisir. Entre les vivants. Lesquels va-t-on sauver  ? Les plus jeunes, ceux qui pourront résister ? Ou les autres, déjà en fin de vie, qu’on peut mettre à l’isolement  ?… Symétrie de choix guerriers.

Alors  ? Y a-t-il encore quelque chose d’Antigone en nous  ? Ou le NON qu’elle hurle depuis des siècles s’est-il définitivement éteint  ?

Antigones 2020, trois femmes aujourd’hui, qui portent, chacune en elle, une part d’Antigone, plus ou moins grande, plus ou moins étouffée. Qui s’interrogent sur leur capacité de résistance. Sur leur capacité à dire NON. Elles vont jouer la pièce de Sophocle, comme une liturgie contemporaine qui interroge le texte phare de la rébellion… Elles vont interpréter tous les rôles, comme on le faisait dans l’antiquité, quand il n’y avait que trois acteurs, et quand le choeur représentait la cité, la « polis, la cité-État, composée d’une communauté de citoyens libres et autonomes, la cité qui était une structure humaine et sociale et non une organisation administrative »…

Trois représentantes des forces qui composent cette cité-État. Trois figures constituant les êtres humains qui vivent en république  : la vie, Ismène, la mort, Antigone, et le pouvoir, Créon, dont la femme Eurydice est le porte-parole. Cet État composé «  d’animaux politiques,  réunis par le choix de vivre ensemble, pour bien vivre, une vie commune assurée par la justice, vertu politique par excellence  »…

Antigones 2020, trois femmes face à la rébellion, au NON immémorial de l’Antigone de Sophocle, et à la gestion inhumaine d’une pandémie planétaire…

Laurence février. Mai 2020

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Les Antigones de George Steiner.
(Folio Essais. Gallimard)
Au micro d’Alain Veinstein, France Culture, « La nuit sur un plateau », 01/01/1986.
(Verbatim)

George Steiner : En 68/69, j’ai vu des photos de jeunes femmes, sur les barricades, à la Sorbonne, à Frankfort, à Berlin, mais surtout en Irlande, des jeunes femmes qui disaient « NON » ! À la vie ! Et à la survie ! Elles voulaient risquer l’absolu. J’avais eu l’idée, le projet, de faire quelque chose sur le symbole, le personnage de Saint-Just, dont le nom même hante/ le nom même est un manifeste. Ce groupe d’êtres humains qui disent : « je ne suis pas prêt à attendre la justice de Dieu, c’est lundi prochain à 11 heures 30, le matin, qu’il faut que le royaume de la justice se fasse sur terre ! C’est pas lundi après-midi, c’est lundi matin, à tout prix ! ». J’ai commencé à travailler ce thème des Antigones, sans encore préconiser sa richesse inépuisable. Puis petit à petit, quand on a su que je travaillais sur ce thème, par des conférences, par des essais, les Antigones ont afflué du monde entier. Et elles continuent à affluer, le livre est déjà périmé, il y a, depuis sa publication, dix nouvelles, vingt nouvelles, pièces, poèmes, romans, de l’Amérique centrale où on enterre vivant, attention ! De l’Asie, il y a une Antigone souterraine, on dit qu’il y a une Antigone qui va sortir du monde de Pol Pot, des grands massacres du Sud-Est de l’Asie. Et je me suis rendu compte que là, il y avait un thème absolument universel, beaucoup plus universel que le complexe d’Oedipe, qui est essentiellement occidental. N’en parlez pas dans les cultures où il n’y a pas la famille nucléaire, ni patriarcale, ça ne marche pas du tout. Les Antigones, ça marche partout.

Et un jour même, j’apprends – c’est là que j’ai commencé à écrire mon livre – je lis, que les corps de Baader et Meinhof ont été mis dans la chaux vive, les familles ne les ont pas reçus, et que l’État  allemand, démocratique après tout ! L’État dit : « on regrette, mais on ne peut pas risquer qu’il y ait un culte des morts ». Ce sont les vers mêmes que dit Créon, c’est presque littéral, les mêmes mots  que ceux qui allaient venger ce refus, quand ils ont en signé leur manifeste « Les Antigones rouges ». Ça a été pour moi/ j’ai dit « bon, on se met au travail ! ». Parce que, si vraiment ce mythe est une sténographie politique, une sténographie de l’inconscient, pour toutes les cultures et depuis des millénaires, ça vaut la peine d’en tracer l’évolution, la philosophie et la poétique. C’est un peu ça, l’origine de ce livre.

Alain Veinstein : Ce qui frappe évidement dans le titre, c’est le pluriel, « Les Antigones »…

George Steiner : Mais il est inépuisable. Il y en a des centaines et des centaines. Et voyez-vous, le mythe grec, c’est une base immédiatement connue, avec une liberté infinie de variations. J’irais plus loin, je voudrais, peut-être avec d’autres écrits, proposer, discuter, approfondir l’hypothèse – ce n’est qu’une hypothèse très préalable -, l’hypothèse que le schéma, thème et variation, n’est pas seulement un schéma formel dans notre littérature, mais que ce schéma fait partie de l’organisation du cerveau. L’hypothèse que nous sommes une machine avec une certaine économie de thèmes fondamentaux, et que nous les varions et re-varions à l’infini. Que cette structure, on parle d’un mythe, d’une légende, d’une image, d’une rencontre, pour la varier à travers les millénaires, et pour revenir à la base, qui appartient à la structure même de notre perception.

Alain Veinstein : Et avec Antigone vous avez pu, vous, réaliser un projet que vous aviez depuis longtemps, qui était de mener à bien une étude où seraient fondus le poétique et le politique ?

George Steiner : Absolument, je ne peux pas les séparer, tout poème est un acte politique, tout refus du poème est un acte politique. Mais dans la tragédie grecque, nous avons l’avantage énorme/ que nous avons un peu perdu, de situer même l’inconscient dans la cité, dans la « polis », comme on dit en grec. Si vous voulez, mon différent – très respectueux – avec la psychanalyse, c’est précisément l’isolement de l’inconscient, l’inconscient aussi, non pas seulement « une structure langagière » comme dirait Lacan,  l’inconscient fait partie de la politique, de l’action, et les Grecs le savaient.

Alain Veinstein : Alors les Grecs, et en particulier Sophocle, puisque Antigone nous renvoie à Sophocle, qui est l’auteur de sept tragédies, alors pourquoi le destin particulier de celle-ci ?

George Steiner : Parce que je crois, que elle seule, cette tragédie groupe les cinq axes éternels de conflits : les jeunes contre les vieux, les hommes contre les femmes, l’État  contre l’individu, la mort contre la vie, et le mortel contre les dieux. Dans d’autres tragédies, nous avons deux ou trois de ces axes. La chose époustouflante, c’est que dans une pièce infiniment limpide et concentrée, très courte, une pièce qui fait à peu près un acte d’un Claudel, et qui est d’une économie totale, nous avons les cinq grands conflits qui sont éternels, qui sont les archétypes du conflit. Toujours les jeunes diront aux vieux « on en a assez », toujours les femmes diront à l’homme « ça ne va plus, nous t’avons engendré, porté dans notre giron, et dans notre bras, nous n’allons plus accepter le massacre, la destruction de la ville », toujours l’État voudra mettre son emprise même sur les morts, l’État est, par définition, vorace et totalitaire. Toujours il y aura, pour trop d’êtres humains et particulièrement pour les jeunes, cette fascination de la mort, du suicide. Et songez, qu’Antigone/ le reproche que lui fait Créon « toi, tu es amoureuse la mort »,  c’est un reproche très très grave. Il lui dit « ça, c’est trop facile, moi je dois vivre », c’est le thème d’Anouilh, même de Brecht et de tant d’autres. Et, le cinquième conflit, le plus problématique si on est vraiment athée, si on est entièrement positiviste, aujourd’hui on dira « non je ne comprends pas ce que signifie cette possibilité d’intervention par les Dieux, ou par Dieu ». Il y a encore beaucoup d’entre nous qui saisissent l’enjeu, et tout ça, concentré dans un texte d’une puissance et d’une beauté sans limites.

Alain Veinstein : Donc, le pivot autour duquel toutes les variations vont tourner, pendant deux mille ans, c’est le dialogue Antigone et Créon ?

George Steiner : Et le choeur, et la ville détruite par ce conflit. Parce que comme vous le savez, dans ce livre, je discute toutes les Antigones de 1940, l’époque Vichy, je discute récemment l’Antigone époustouflante de Bernard-Henri Levy, qui proclame qu’on a mal lu la pièce pendant 2000 ans, et qu’au contraire, l’homme sacré, c’est Créon, etc. Les interprétations ne cessent. Ce dialogue est un des moments de cristallisation de la condition humaine, il n’y a pas de doute. Il y en a d’autres, dans les grandes œuvres, dans la tragédie grecque, mais là, c’est d’une transparence presque/ presqu’insoutenable, d’une clarté ! C’est le couteau qui coupe, qui coupe au centre de notre humanité. »

L’ÉCOLE DES MARIS

Léonor et Isabelle, deux sœurs orphelines, se voient confiées à la mort de leur père à deux frères d’âge mûr, Ariste et Sganarelle. Ces derniers sont chargés par contrat de les élever, de les éduquer et enfin ou « de les épouser » ou « d’en disposer ».
Les tuteurs bien qu’ayant des conceptions opposées sur l’éducation nourrissent tous deux des espoirs envers elles… Avec Léonor, Ariste choisit l’école du monde et la voix de la liberté. Sganarelle, lui épie les moindres agissements d’Isabelle, l’enferme,  voire la séquestre.
Bien évidemment Isabelle tombe amoureuse. Elle va trouver en elle les ressources pour échapper au despote et rejoindre Valère.

Un théâtre qui convoque « des figures masculines ambivalentes». Sganarelle « l’arroseur arrosé » qui nous livre son désordre intérieur, Ariste qui défend « la tempérance », Valère « l’amoureux » initié par Ergaste, « l’expérimenté ».
Quant aux personnages féminins, ils sont d’une extrême modernité.
Isabelle déjoue un Sganarelle amoureux, aveuglé, infantile, Lisette dénonce les abus et les inégalités, Léonor exprime avec clairvoyance son libre-arbitre.
Une intrigue qui au final laisse le sentiment vrai l’emporter et mettre à mal la violence du pouvoir confisqué par les hommes.

Avec L’Ecole des maris, il en va du désir de raconter avec poésie la complexité des rapports amoureux mais aussi de mettre en résonance cette pièce de 1661 avec aujourd’hui témoignant du chemin qu’il nous reste à accomplir quant à la question d’équité entre la femme et l’homme.

« Tournant » dans l’œuvre de Molière, cette comédie en alexandrins aux allures de farce jubilatoire touche à des questions sociales et politiques et recèle une dimension existentielle et une force poétique.

Une partition théâtrale, chorégraphique et musicale pour 7 comédien.n.e.s.

LETTRE D’UN SINGE AUX ÊTRES DE SON ESPÈCE

Le motif de base de la Résistance était l’indignation… nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l’héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! écrit Stéphane Hessel.

Ce qui indigne Stéphane Hessel en 2010 – l’existence des sans-papiers, les mauvais traitements réservés à la planète, les écarts de richesse dans le monde – est à rapprocher de la révolte de César, le premier des indignés, en 1781.

Les hommes, pis que des enragés, se servent de leur raison pour imaginer tout ce qui est propre à les rendre malheureux. D’abord, on dirait qu’ils ont établi qu’ils ne seraient pas égaux. Qu’il y aurait dans la même espèce des « Possédant tout » et des « N’ayant Rien ».

En 2019, si nous regardons le monde dans lequel nous vivons avec les yeux de César, il est évident que le saccage de la Nature, la disparition des autres espèces ne vont pas rendre l’Homme plus heureux. Encore une fois, l’Homme ne fait qu’accroitre son propre malheur. On retrouve aujourd’hui cette folle inégalité entre les êtres humains, qui révolte tant César. Cette même injustice entre les Possédant-tout et les N’ayant rien. Impossible de ne pas se dire, comme César : L‘Homme est dingue !
Nous allons prendre le relais. Faire entendre le cri de révolte du Singe et aussi son rire.

Faire entendre La Lettre d’un Singe aux êtres de son espèce de Restif de La Bretonne, un texte de salut public avec, dans le rôle de César-Singe, l’acteur Eddie Chignara.

MOLOCH

MOLOCH Un poème
Une ballade au royaume des Ogres, habitée de l’écho d’épopées barbares et amoureuses, où désir et sidération se côtoient dans un brasier ardent, peuplée de bourreaux, de militaires aux convictions nationalistes, d’ogres affamés d’enfants innocents, d’une jeune fille qui découvre que son père qu’elle aime passionnément est un psychopathe. La guerre, l’amour, nos champs de bataille…  Dans le paysage, les ombres du Minotaure, du Roi des Aulnes, du siège de Sarajevo, du nid d’aigle du Führer…
Au plateau, deux hommes hantés, des presque fantômes. Et des pantins, traces d’enfances bouleversantes et bouleversées. L’Homme et le Pantin…

ET SI NOUS ÉTIONS DÉJÀ MORTS ?
Moloch le dit : « Comme c’est bon d’être vivant, et de savoir qu’en réalité vous êtes mort. Vous savez que vous pouvez tout vous permettre et que personne, pas même vous, ne peut vous nuire. Vous êtes là, mais vous n’existez pas. Vous respirez, vous parlez, vous marchez, mais vous êtes conscient que, pour les autres comme pour vous, ce n’est qu’une illusion. »
Moloch est un poème qui aurait pu débuter comme un conte : « Le soir de Noël fut marqué par une tempête de noroît qui semblait vouloir effacer le souvenir d’une année dans l’ensemble calme et ensoleillée. A une altitude immense, on voyait passer, criant de peur, des oiseaux de mer emportés par un souffle panique… »
Moloch dit (d’autres l’ont dit déjà) que nous n’arrivons jamais à savoir qui nous sommes, que nous n’arrivons jamais à être une seule des multiples personnalités qui nous habitent, que nous ignorons lequel de nos démons internes exhalera notre dernier soupir. Personne ne connaît vraiment personne : ni le frère sa soeur, ni l’amant sa maîtresse, ni la fille son père.
Moloch est un poème dont le paysage est la guerre.
« La guerre est en tous les hommes, quelles que soient leurs opinions politiques, leur religion, leur nationalité, leur race. C’est l’abîme sous notre peau à tous, à l’intérieur de nos crânes à tous. Et lorsqu’on a regardé dans cet abîme, qu’on a contemplé ce grand vide, on ne peut plus détourner les yeux, car l’abîme nous contemple à son tour. »
Moloch nous dit : « Prenez garde à l’Ogre ! il convoite vos enfants. »
L’Ogre est issu de la nuit des temps, il était déjà là il y a mille ans, il y a cent mille ans. « Prenez garde à l’Ogre ! »
Dans Moloch, « la guerre est une messe noire célébrée au grand jour, et les idoles barbouillées de sang devant lesquelles on fait agenouiller les foules mystifiées s’appellent : Patrie, Sacrifice, Héroïsme, Honneur.»
Soufflent sur Moloch les vents mauvais qui balaient l’Europe en ce début de XXIème siècle : « Nous serons heureux quand enfin nous serons seuls, à nouveau, dansant nos danses et chantant nos chansons, sans la compagnie polluante des autres ! »
Oui, peut-être sommes-nous vraiment morts…
Au coeur de Moloch, il y a le visage d’une jeune fille, Ana Mladic, qui, seule, mena la plus dure des révolutions : voir en son père, qu’elle aimait plus que tout au monde, un bourreau. Son père, l’Ogre.

Jean-François Matignon

L’IMPOSSIBLE PROCÈS

Les 26 et 27 mai, une grève se transforme en émeute dans les rues de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. les forces de l’ordre tirent à balles réelles sur ces ouvriers désarmés. Il y a des morts, des blessés et une population traumatisée. Dix-huit Guadeloupéens sont traduits devant les tribunaux pour un crime qu’ils n’ont pas commis, sinon celui de dénoncer la politique d’un système colonial. Ils sont défendus par dix-sept avocats et soutenus à la barre par des illustres personnalités : Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire, Paul Vergès…

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Extraits de Presse

Presse 2020
Podcasts RFI
La Francophonie d’Outre-Mer

Article Outremers 360
Quand le théâtre se met au service de l’histoire contemporaine de la Guadeloupe à Paris
La 1ere France Info – Le portail des Outre-Mer
L’impossible procès » gagné aux Zébrures de Limoges
Les Francophonies – Des écritures à la scène
http://www.lesfrancophonies.fr/L-Impossible-proces
Madinin’Art – critiques culturelles de Martinique
https://www.madinin-art.net/histoire-et-theatre-limpossible-proces/
Toute la culture
https://toutelaculture.com/spectacles/theatre/les-zebrures-dautomne-ouvrent-la-premiere-de-limpossible-proces-qui-met-en-lumiere-les-emeutes-malconnues-de-mai-1967-en-guadeloupe/
Théâtre contemporain – le Laboratoire du Zèbre
https://www.theatre-contemporain.net/video/Le-laboratoire-du-Zebre-autour-de-L-Impossible-proces-m-e-s-Luc-Saint-Eloy?fbclid=IwAR1-T1dyg97ZQXVxV9Qrqw8Hv–fAwQsYGSPraZfwDXt0mN4GmL062mc2kY
Théâtre de l’Union – Interview de Guy Lafages
https://www.theatre-union.fr/fr/show/limpossible-proces

Presse 2018/2019

« … Avec son théâtre réel, le metteur en scène apporte ce qu’un article ou un documentaire ne pourrait exprimer : une dimensions humaine de l’émotion. Le message qui en jaillit explose avec d’autant plus de force… » Jacqueline Brunelle – FRANCE ANTILLES MARTINIQUE (juillet 2018)

« … Il faut bien continuer à coproduire de tels chefs d’oeuvres artistiques! … » Yvor J. Lapinard – FRANCE ANTILLES GUADELOUPE (décembre 2018)

« … On doit se féliciter de la réussite d’une entreprise ambitieuse qui a fait le pari d’une adhésion du public à une forme de théâtre pédagogique, au service de l’histoire… » Scarlet Jesus (février 2019)

« … Cette reconstitution est d’un grand intérêt historique. Elle rassemble la population autour d’une période importante d’une histoire que les archives officielles existantes n’ont jamais permis délucider… » Alvina Ruprecht – THÉÂTRE DU BLOG (février 2019)

« … Les festivaliers de Cap Excellence en théâtre ont salué la prestation des comédiens par une standing ovation, le 18 mai au complexe Félix Proto. Un plébiscite partagé par les vrais protagonistes, Serge Glaude, Ken Kelly – présents dans le public… Pierre Santini a endossé le rôle sur-mesure du Présidentdu tribunal… » Cécilia Larney – FA LE MAG (mai 2019)